Critique de spectacle, Critiques de spectacles à Lyon

Quelques considérations sur le Viviers des Noms de Valère Novarina

(joué au TNP du 14 au 16 Novembre 2016)

Valère Novarina ou l’anamorphose de la parole…

Nous avons eu la chance de voir Le Vivier des Noms au moment de sa création dans l’écrin du Théâtre des Carmes au Festival d’Avignon IN en 2015. Nous avons dès lors pu retracer et nous représenter l’évolution du spectacle. Nous avions saisi et ce dès notre initiation au théâtre à quel point les textes de Valère Novarina permettaient de travailler la respiration du corps en même que celle de la chair, mais pas celle de cette chair flétrie de nos corps, mais cette chair invisible qui nous contient et dont on est empli : souffle créateur ou puissance destructrice ? CHAIR de notre propre désir, chair de notre âme, qui se consume dans le silence et dans l’oubli de nous même. On ne va pas discuter ici de l’évolution, le lecteur scrupuleux pourra se référer à la première critique du spectacle. On se proposera ici d’esquisser un horizon sur l’analyse de la dramaturgie de Novarina dans cette pièce. Nous vous proposons d’écouter également un entretien que nous avions réalisé avec l’auteur au moment de la création…

Valère Novarina a une écriture poétique profondément singulière dans la littérature théâtrale, et une sorte d’originalité qu’on pourrait croire à tort marquée de la même estampe irrévérente mais pour trop rébarbative. Mais le poète est homme à semer plutôt qu’à récolter, à la fois homo faber et homo laborans, aucune distinction ne prévaut dans ce vivier qu’il nous compose, duquel il fait croître et s’épanouir des mots tel l’amateur de tulipe de la Bruyère qui ne peut se retenir d’éprouver une joie incontrôlable et totale face à la profusion de ces tulipes, et pourtant ce ne sont que des tulipes, et là aussi, d’une certaine manière ce ne sont que des mots…

Il y a évidemment chez ce poète quelque chose qui le rapprocherait des vanités, autant dans le travail sur la mort dans sa fable que dans le travail pictural de la représentation. Les deux tendent à faire naître un sentiment de révulsion étrange. Cette vanité comme toute vanité, n’a rien de macabre, mais échappe au contraire quelque chose de mystérieux, d’aérien et d’obsédant. Ce Vivier vient nous donner à entendre des images indéfinies et à voir un jeu perpétuel sur la forme et l’épaisseur que les mots prennent dans la profération de la bouche, trou parmi les trous.

Les personnages dans leurs incertitudes, leurs sarcasmes et leurs tranquillités parfois âcres et perplexes dévoilent bien la condition humaine. Le spectacle théâtral par le corps des comédiens recompose l’anamorphose et fait naître une image observée à travers le miroir du théâtre, miroir magique qui au lieu de renforcer et d’acculer notre orgueil, fait de nous des voleurs de feu…

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© Pierre Grosbois

L’anamorphose, c’est ce procédé utilisé à partir du XVIIème siècle pour mettre en perspective l’image, la peinture d’une autre manière dans des représentations concentriques, resserrées, aux prismes de certains miroirs et à l’angle de certaines courbes. Au lieu d’être représentée sous sa forme traditionnelle, l’image subit une transformation et une déformation au premier abord, mais en prenant de la distance, ou en se reculant, ou en se mettant sous un certain angle, on peut à travers notre vue et notre imaginaire recomposer l’image qu’on est plus seulement alors en train de voir, mais que l’on est en train de vivre. Notre vue agit sur le pouvoir de l’image, comme la parole des comédiens agit sur le pouvoir du texte, jouant au milieu d’images peintes par le poète, de sorte que le plateau devient au cours de la pièce une véritable anamorphose tourbillonnante, indécomposable, irascible, mais demeure une anamorphose. En effet, aucun prisme ne vient nous donner de réponse ou nous dévoiler l’image normale, celle que le poète a voulu nous représenter. L’effet de bizarrerie et d’illusion censé créer un effet plaisant chez Novarina devient une vaine comédie, à l’image de la coïncidence des personnages à se croiser, à se vertiger (j’invente ce verbe) et à jouir de leurs présences et de leurs finitudes.

Aucune machine qui s’emballe, aucun subterfuge technique destiné à endurcir la présence des corps, les personnages ponctuent et délayent les racines d’une vie perdue, dépassée et rompue à toute expression dramatique. Chaque personnage contient tout et son contraire parce qu’il ne cherche pas un sens ou une vérité qui pourraient infléchir son existence humaine, mais qu’il lutte sans cesse contre l’oubli de notre mémoire, l’effacement de nos corps et de notre chair dans nos sociétés et ce malgré les transcendances qui les soutiennent (croyance en Dieu ou en la nation par exemple). L’homme est mangé, un être vomi par Dieu et par le monde, condamné à se libérer sans cesse, prisonnier de sa propre délivrance, pionnier de sa propre aliénation. L’importante leçon novarinienne, c’est le désoubli, c’est à dire selon mon sentiment, de se détacher de l’orgueil de son corps, de la frilosité de son sexe et de ne plus se penser maître en la matière de maîtriser le monde ni même esclave de ses passions, mais réapprendre à se questionner, à douter farouchement de tout.

Ce monde novarinien déjoue sans cesse notre méfiance, outrepasse nos illusions fondées sur des savoirs conquis à la lumière d’une science impérieuse et omnipotente. Lorsque l’on pourrait croire que Novarina précipite la décadence du monde, on se rend compte qu’il en domine les mécanismes. Ces personnages encore une fois ne digèrent pas bien le monde, ils sont sans cesse congestionnés, leurs interrogations constantes les font tressaillir, et il n’y a pas de meilleur théâtre que celui qui oblige les comédiens à être acteur de leur propre impuissance. Dans ce Vivier des Noms resurgit par bribes des démonstrations de l’Acte Inconnu, comme pour se souvenir que tout est disparu, que rien n’est peut-être même encore né. Plus personne n’est là pour porter la planche, la parole qui porte une planche n’a plus autant d’espérance (référence à l’Acte Inconnu et à la manière dont Jean-Baptiste dans la Bible annonce la venue de Jésus en disant dans mes souvenirs celui qui viendra après moi, je ne serai pas digne de lui porter sa planche). L’ouvrier du drame quitte le plateau, il ne reste dans le Vivier des Noms rien que les cendres encore brûlantes d’une pensée à vif déjà consumée dans son jaillissement, qui essaye en vain de redonner chair et consistance à la parole.

Malgré cette carence actuelle et ce constat terrible d’une parole insignifiante et stérile que l’on retrouve par exemple en ce moment dans la campagne de Monsieur Macron que tous s’ingénient à qualifier de candidature et de parole de « communication » alors que tous agissent de la même manière avec le même acharnement idéologique, Valère Novarina, tout comme Olivier Py ou encore Jean-Pierre Siméon intronisent une révolution de la parole en ce qu’elle n’est plus centrée sur elle-même, ni même contrainte à éclaircir des sens, mais bien à ouvrir des possibles alors même que la parole politique d’aujourd’hui ne donne plus aucun espoir en l’avenir mais ne fait que condamner des horizons. C’est peut-être le théâtre qui permettrait à l’homme moderne d’infléchir les conditions de sa survie dans un monde où la barbarie et la violence en plus d’augmenter, prennent des formes de plus en plus attrayantes faisant de la haine et du massacre, la promesse d’un monde nouveau.

Cet homme novarinien survit en lui avant d’apparaître aux autres, c’est un être imaginaire, utopique, inconstant et imprévisible, et s’il ne lutte pas en mouvement collectif pour renverser les courbes dévastatrices de nos sociétés, il convie les spectateurs à se saisir de ses histoires pour s’en inventer une nouvelle. Cet homme dessine dans sa respiration les contours d’une folie, d’une pulsion inassouvie, d’un cœur ardent et incréé (du verbe incréer que j’invente ici), ceux de l’homme d’aujourd’hui éteint et enchaîné avec sa langue en feu qui le dévore d’impatience, un jour il parlera et fera tomber tous les murs qui l’obsèdent…

Raphaël

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