77e Festival d'Avignon, Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN

Imaginer avec ses oreilles

Truth’s a Dog Must to Kennel de Tim Crouch se joue du 14 au 23 juillet à la Chapelle des Pénitents blancs.

Pour cette 77e édition du festival, Tiago Rodrigues a décidé de célébrer la langue anglaise avec un certain nombre de spectacles venus d’Outre-Manche. Parmi eux, « À la niche chienne de vérité » ou, en langue originale, Truth’s a Dog Must to Kennel de et par Tim Crouch. Auteur, comédien et metteur en scène acclamé, désormais habitué des scènes françaises, ce dernier intervient dans la deuxième partie du festival avec sa dernière pièce inspirée du Roi Lear de Shakespeare, après avoir présenté An Oak Tree (2005) au cours de la première quinzaine de juillet.

Sur scène, il ne faut s’attendre à presque rien, un homme, son micro sa chaise et sa bouteille d’eau. Cet homme c’est Tim Crouch, c’est aussi le fou du roi, et le spectateur acerbe des transformations du théâtre dans l’ère covid et post-covid. En enfilant son casque de réalité virtuelle, il va faire naître tout un monde au sein de la Chapelle des Pénitents blancs : la salle hiérarchisée d’un grand théâtre, ses publics divers et variés et sur la scène, une représentation du Roi Lear.

© Christophe Raynaud de Lage

Ce monde existe, mais ni dans la salle ni dans le casque de Tim Crouch qui, en vérité, ne fonctionne pas, il n’existe que par les mots de l’artiste. Ce dernier nous donne à entendre une langue si belle et claire qu’il pourrait nous faire voyager par les oreilles dans n’importe quel lieu.

Mais ce qu’il offre dans ce spectacle n’est pas un simple voyage enchanté. Ce n’est pas non plus une réflexion littéraire sur le Roi Lear. Dans la peau du fou, il interroge le départ de ce dernier d’une pièce à laquelle il va assister, atterré et impuissant. Le fou comme l’artiste font le constat d’un théâtre en mutation qui finit par se réduire à une seule certitude : il y aura toujours sur scène une personne qui s’adresse à une ou plusieurs autres.

Je crois que le véritable lieu du théâtre se situe dans la tête du spectateur. L’action scénique n’est qu’une tentative pour y déclencher quelque chose et, si nous y parvenons, le public devient alors le collaborateur ultime de l’acte théâtral. Mais je veux qu’il génère lui-même ces images, qu’il les voie, sans que j’aie à les lui montrer !

Entretien de Marie C. Lobrichon avec Tim Crouch, 2023

Tim Crouch propose un acte fort et surtout important au sein de cette 77e édition, en portant un regard à la fois émerveillé et lucide sur les possibilités du théâtre. Tout en la présentant comme une forme parfois morte que l’on ne cesse de réactiver, il envisage les voies de son renouvellement par le biais des histoires que l’on peut se raconter sur une scène et par une réflexion sur la relation entre l’artiste au plateau et son public. À partir d’un récit précis et finement sculpté, Tim Crouch nous laisse toute la possibilité et surtout la responsabilité d’imager nos propres scènes et nos propres récits. On sort de ce spectacle comme défait·e·s de l’emprise d’un charme qui aurait opéré pendant une heure et encouragé·e·s à se frotter à la matière d’autres spectacles, dans la chaleur des journées avignonnaises.

Juliette Meulle

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