Critique de spectacle

Fantaisie gay sur des thèmes nationaux

Retour sur Angels in America de Tony Kushner, mis en scène par Aurélie Van Den Daele au Théâtre des Quartiers d’Ivry du 10 au 12 mars 2023.

Que se passera-t-il quand les anges viendront sur terre ? Quand nous ne saurons plus où s’arrête le réel et où commence le rêve, le rêve d’une nuit tranquille ou celui, explosif, incertain, créé par les tranquillisants ?

Dans les États-Unis des années 80, à New-York plus précisément, des êtres de chair et des fantômes se croisent. Œuvre en deux parties de l’écrivain américain Tony Kushner, Angels in America met en lumière des thèmes divers touchant à la politique, à la justice, la religion et à la sexualité. Telle la forme musicale évoquée dans le sous-titre de la pièce, le spectacle s’affirme comme une forme composite. Les 4h50 s’écoulent en un souffle et même l’entracte du milieu semble superflu tant on est happé par ce qui se passe sur scène.

Telle une épée de Damoclès sur la tête de chacun·e il y a l’épidémie de sida qui touche différentes parties de la population et qui interroge les relations entre les personnages et façonnent leurs interactions. Il faut dire que ces personnages sont aussi flamboyants que détestables parfois, le plus souvent touchants. On rencontre Roy Cohn, vieil avocat corrompu, juif et antisémite, homosexuel et homophobe, Belize, infirmier et drag queen attentioné·e, Louis et Prior, que la maladie va séparer, Harper et Joe, le couple de mormons emplis de doutes.  Fonctionnant en duos qui vont se défaire et se recomposer, chaque personnage semble pourtant principalement évoluer seul dans un couloir fermé, tout en essayant de s’en échapper. À la fin, chacun·e cherche son petit coin de bonheur et sa manière de réussir sa vie en dépassant, ou pas, ses contradictions.

© Marjolaine Moulin

Encore aujourd’hui le spectacle nous touche. Et ce n’est pas uniquement pour des questions de ressemblance entre deux épidémies décimant des personnes qui nous sont proches. C’est plutôt grâce à l’énergie que donnent ces personnages pour s’extraire de leur vie, que cela soit par des médicaments, des rencontres, des messages angéliques ou des voyages hallucinés vers l’Antarctique.

La pièce a été montée en 2015 et elle a sans doute changé avec les années (L’Alchimie lui avait d’ailleurs consacré un article en 2016), mais l’énergie est toujours là. Les comédien·ne·s au plateau nous accueillent par une danse endiablée qui se poursuit à mesure que le public s’installe. C’est une course festive et vaine, qui va s’engager après qu’il·elle·s auront toustes disparu derrière le rideau de perles qui habille le fond de la scène. La scénographie particulièrement astucieuse et modulable offre la possibilité de résoudre les questionnements de spatialisation et de changements de lieux. La boîte transparente située au fond à cour se fait tantôt confessionnal, tantôt cachette, voire morgue. Les lumières (Julien Dubuc) nimbent les scènes de lueurs traduisant visuellement l’ambiguïté des situations et des personnages : maladifs et joyeux, festifs et découragés, lumineux et ternes, tout cela en même temps.

De nombreuses fois j’ai ressenti ce sentiment que la pièce touche dans nos cellules à ce que nous sommes, nous humains déraisonnables. Qu’elle porte et qu’elle aide. Qu’elle fait rire et pleurer. Qu’elle réunit. […] Alors Prior, le héros, dit à la toute fin de la pièce « Je veux encore de la vie, je veux encore de la vie ». Et ces mots me hantent passionnément. Nous aussi, nous voulons encore de la vie, de la vie.

Aurélie Van Den Daele

Parce qu’il·elle·s révèlent ce qu’il y a de plus juste en nous, le fait que nous soyons des êtres indécis, jamais très au clair avec nos propres choix et certitudes, nous voulons rester à l’écoute de ces personnages, et cela pourrait durer plus de 5h, nous serions encore à New-York avec elleux. Ce n’est pas que l’Amérique, ce n’est pas que du théâtre et ce ne sont pas que des personnages, alors let’s dance, encore un peu.

Juliette Meulle

Laisser un commentaire