Critique de spectacle

« Les yeux grands ouverts et l’air de voir, mais c’est un rêve qu’elle voit »

Retour sur Des femmes qui nagent de Pauline Peyrade, mis en scène par Émilie Capliez et joué au Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis du 8 au 19 mars 2023.

C’est le récit de femmes qui ont été filmées. C’est le récit de femmes qui ont admiré d’autres femmes, et ont été admirées par des hommes et des femmes. C’est le récit de femmes qui se lèvent et se cassent. C’est le récit de femmes qui ont filmé d’autres femmes, les ont mises en valeur, en confiance. C’est le récit de femmes. Intérieur nuit.

Une citation de Blonde de Joyce Carole Oates ouvre la pièce. Au plateau, quatre comédiennes nous font entendre le texte kaléidoscopique de Pauline Peyrade avec justesse et dynamisme. Inutile de dire à quel point elles brillent sur les planches, elles le savent déjà. La mise en scène d’Émilie Capliez nous plonge dans le décor d’une vieille salle de cinéma se transformant dans notre imaginaire au gré des scènes qui s’y joueront.

Les comédiennes rejouent ou relatent des scènes de films mais aussi des interviews et des événements marquants pour nous faire entendre la place des femmes dans l’industrie cinématographie, leurs combats, leurs déconvenues parfois. Elles incarnent des histoires de domination et des stéréotypes, pas encore complètement disparus aujourd’hui, mais aussi des fragments d’émancipation. Et si on peut regretter de ne pas reconnaître toutes les références, certaines scènes se veulent énigmatiques afin de ne jamais plonger dans l’explicite, « c’est un rêve que nous voyons ». Le fil reste ténu entre désir des icônes et libération des images.

© Klara Beck

On sent que le spectacle s’appuie tant sur des recherches documentaires fournies que sur une sensibilité particulière à une histoire féminine du cinéma que Pauline Peyrade et Emilie Capliez veulent transmettre sur scène. Il se fonde également sur la diversité des comédiennes présentes au plateau qui ont chacune leur histoire du métier à transmettre, depuis leurs expériences variées et plus ou moins nombreuses. Ce spectacle nous raconte finalement comment façonner une autre histoire, un autre point de vue, tout en nous laissant libres d’élaborer les nôtres. Des femmes qui nagent ne cherche pas à nous dire quoi que ce soit, le spectacle n’est pas là pour démontrer, il fait simplement se succéder des scènes et des témoignages dans l’espoir que chacune et chacun puisse y faire son propre voyage.

Combien de temps considère-t-on comme normales des situations ou des assignations, des rôles qu’on nous propose ? Et à partir de quand commence-t-on à soulever le couvercle et à se demander si cela nous paraît juste ou pas, et ce qu’on en pense réellement en tant que femme ? Pour ma génération, des questions qui étaient tues sont devenues incontournables.

Émilie Capliez

C’est aussi un spectacle drôle qui joue de ces scènes fragmentaires et des liens que les comédiennes doivent tisser entre les images. J’aurais aimé rester dans cette légèreté de structure jusqu’à la fin et j’ai donc eu un petit regret sur la dernière séquence qui nous fait revenir un peu longuement dans le concret de la salle de cinéma alors que celle-ci, constamment présente en fond comme un rappel subtil du cadre, avait permis de figurer des espaces multiples.

Le chemin que nous pouvons lire est celui d’une réappropriation des outils de création, qui n’est pas sans rappeler deux autres spectacles déjà évoqués sur L’Alchimie sur le collectif des Insoumuses. Ici aussi, ce sont les femmes qui finissent par affluer au plateau et sur les écrans, comme si une utopie féminine et féministe était en train de voir le jour. Continuons d’espérer.

Juliette Meulle

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