Critique de spectacle, Spectacles du Festival d'Avignon IN présents à Lyon cette saison

Le Vivier des noms un spectacle de Valère Novarina

Jusqu’au 12 Juillet au Cloîtres des Carmes

L’histoire s’annonce par une voix fragmentée, comme une suite d’énumération déclouée de la parole qui se suspend, s’amplifie par la force motrice des personnages qui viennent jouer cette renaissance de la mémoire et du souvenir, débouquée après le passage angoissant du vide mortuaire et amarrée à la fragilité éphémère de l’être.

Le Vivier des noms forme une matrice de l’œuvre du créateur, on y retrouve le travail matrassé du verbe mêlé à la puissance maxillaire des comédiens ainsi qu’une force de vie qui outrepasse les limites mêmes du théâtre. L’ensemble devient dès lors un spectacle total, qui contient un jaillissement bienheureux et qui ne peut se briser, tant le spectateur adhère à cette représentation, même si les comédiens veulent désadhérer. La scénographie réalisé par Philippe Marioge institue un rapport horizontal de la mise en scène et l’épure de décors trop asservissants. L’utilisation de panneaux sur lesquels sont reproduits des dessins de Valère Novarina et qui sont disposés presque en trompe l’œil, et qui peuvent se muter en trou ou en tombe, former des obstacles ou des tribunes, remplissent l’espace avec une sorte de mystère enivrant et bouffonesque. La musique composée et jouée par Christian Paccoud à l’accordéon pour accompagner la voix des acteurs réinvestit le chant populaire avec des accents tonitruants et presque de l’ordre d’une grammaire dramatique et terriblement caustique.

Pour revenir à la trame presque originelle de la pièce, il s’agit pour les acteurs de se convaincre, de se jeter dans la gueule des mots, et de reprendre un cheminement, celui de cette parole qui porte une planche, de cette parole purificatrice, prophétique qui viendrait annoncer la délivrance, la naissance arborescente du drame qui ne dramatise plus mais qui crée un tableau lithaguogue qui expulse le langage des carcans dans lesquels il s’enferme par l’usage et la règle. Le travail de Novarina devient dès lors ce travail intense non pas sur la langue mais sur l’humain, sur sa fragilité, sur son indolence, sur son impuissance. Ici le langage est propre à tout dire et à tout faire, la chair sourit de tant de soubresauts, de ferments, de germes, de génie, le corps est traversé par cette langue clitoridienne et turgescente et s’immole dans le geste, dans l’instant fatal de la condition humaine.

Le spectacle représente ainsi une sorte d’églogue où les bergers écorcheraient les moutons et s’égorgeraient entre eux, un spectacle où le sang est d’une autre nature dans les précipités de Raymond de la Matière. La réminiscence de l’Acte Inconnu autour de ce spectacle forme ainsi un désir de reconnaissance, une sorte de palimpseste de l’écriture, qui se renouvelle dans le souvenir.

« Dans le souvenir est le secret de la rédemption » énonce avec une pâle innocence Le Livre dans tes mains dans les derniers moments de la pièce. Il ne faut pas se laisser surprendre par l’heure du désoubli, ne pas oublier, c’est là la grande ferveur de ce texte. Le personnage de l’ouvrier du drame intervient aussi avec gravité et avec une émotion troublante lorsqu’il dit «  Donne moi de l’eau, pas pour me laver, ni oublier, ni pour effacer… donne-moi de l’eau pour que je me souvienne de tout ». Cette eau qu’il demande, cette demande expressive et sublimée par la grandeur du comédien nous fait comprendre peu à peu que l’éternel est dans le son, dans la création elle même, et qu’elle étuve avec labilité les plaies de nos vies misérables, où l’art tient une place de choix mais sans jamais être poursuivi, rapiécé, pris dans la prétention de notre savoir.

Novarina avec cette nouvelle création nous montre de nouveau à quel point l’art est plastique et matière, à quel point l’expression charnelle de ses comédiens et de sa poétique ne fabrique pas quelque chose, mais pétrifie et suspend l’espace d’un instant, l’essence même des choses.

Ce spectacle forme ainsi une œuvre puissante, une peinture que l’on crie, que l’on murmure, mais qui ouvre notre cœur et nos vies sur l’altérité, par la générosité des comédiens qui nous font rire dans toutes les non-circonstances. Cette représentation forme ainsi une œuvre plutonienne où le feu ne brûle pas, où le feu ne consume pas mais fait tout étinceler et renaître.

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