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Artefact, une installation spectacle de Joris Mathieu en Compagnie de Haut et Court

jusqu’au jeudi 13 avril au Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon

ARTEFACT : UNE MISE EN ABYME QUI QUESTIONNE LA PLACE DE L’HOMME DANS LE THÉÂTRE ET DANS LE MONDE.

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© Nicolas Bouvier

Avec Artefact, Joris Mathieu nous livre la possibilité à travers une mise en scène qui aurait pu tenir de la science-fiction il y a encore quelques années mais qui possède de facto une résonance très actuelle, de vivre une expérience toute particulière : celle de l’être humain destitué de sa place dominante par les robots, solitaire face à sa propre déchéance. Le questionnement est sincère et réaliste : comment l’homme parviendra-t-il à contrôler sa propre création. Au fur et à mesure qu’on avance dans l’espace scénique de la pièce, on trouve un écho avec les débats de société actuelle sur la place de l’homme sur terre, sur fond de remise en question.

Pas de message, mais une volonté certaine d’amener la jeunesse d’aujourd’hui vers un questionnement profond sur notre rapport à la technologie et notre place en général dans ce monde numérique qui évolue parfois plus vite que nos consciences. Si vite qu’on pourrait être dépassé et asservi à notre tour comme nous avons nous-même tenté d’asservir le monde ? Et c’est un pari réussi car on sort finalement du spectacle avec une certaine impression de malaise qui relève de la prise de conscience : tout cela est peut-être finalement trop grand pour nous, et à force de construire, n’entamons-nous pas notre propre destruction ?

Joris Mathieu déclare :

« Il s’agit de s’adresser aux jeunes pour qu’ils puissent regarder en face la réalité et se situer vis-à-vis d’elle sans être dans un dogmatisme, mais d’avantage dans un examen lucide et réel avec un positionnement individuel et collectif pour construire le monde de demain. »

Un questionnement sur la vie donc, mais aussi un questionnement sur le Théâtre. Joris Mathieu nous livre après la pièce ses impressions sur le théâtre actuel, les choses qu’il a vu changer, les habitudes et les métiers qui ont disparus. Il cherche encore à tenter une expérience, un théâtre sans l’homme, une scène entièrement artificielle, chose impensable et pourtant réalisée avec brio par l’équipe de Haut et Court.

Séparés en trois groupes, chacun guidé par un membre de l’équipe, on prend place casque sur les oreilles et on laisse le bot conversationnel nous raconter son histoire. Son apparence humaine est troublante, mais le timbre monocorde de la voix de synthèse et le pragmatisme mécanique de ses phrases laissent une impression glaciale. Le décor de la fin des hommes est posé, et enfermé dans un monde de bruits et d’images, on vit totalement seul une expérience d’abandon et de vide, un monde sans l’Homme. On assiste à une genèse des robots et à ce qui a conduit à notre propre décadence. Premier constat du robot : l’homme s’achemine de lui-même vers sa fin, mais l’homme a ses défauts : cupidité, nonchalance, paresse, choses qui pour des êtres programmés pour réaliser à la perfection les tâches qu’on leur a donné, semble incohérente.

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© Nicolas Bouvier

Les paroles du robot résonnent comme un avertissement. Joris Mathieu veut toucher l’esprit critique et laisser place au libre-arbitre et à l’interprétation de chacun, on trouve un constat amer de la force et de la conviction que met l’homme à détruire le monde qui l’entoure et qui se laisse aveugler par son avidité. Le glas sonne à travers la voix synthétique : « l’homme avait tout en abondance, mais l’homme a besoin de tout sauf d’abondance ».

Et quand en sortant on se retourne pour dévisager avec suspicion les automates de parking dans la rue et les bornes du métro, on comprend que cette expérience ne laisse pas indifférent. La masse technologique est bien là, le constat est on ne peut plus réaliste, et nous petits êtres de chair et d’os renvoyés à notre place dans le cycle de l’univers, nous avons un regard contemplatif face à notre œuvre qui nous dépasse.

Vianney Loriquet

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