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« Ma Jeunesse Exaltée » d’Olivier Py – 76e Festival d’Avignon

« Ma Jeunesse Exaltée » est encore jouée au Gymnase Aubanel pour la 76ème édition du Festival d’Avignon les 13, 14 et 15 juillet 2022.

Le pouvoir d’Arlequin

Vivre une expérience théâtrale, comprendre ce qui nous traverse, voir des acteurs, c’est ce que propose cette traversée de Ma Jeunesse Exaltée. Je repense souvent à cette phrase des Mille et Une Définitions du Théâtre d’Olivier Py que je déforme peut-être :  « on ne juge pas un feu qui brûle ».

Et on peut le dire, cette pièce brûle les planches d’un feu secret et enfantin. On est habitué chez Olivier Py à ce que les tréteaux soient la tribune d’une parole poétique éternelle, celle du théâtre : il invente cependant dans cette pièce une autre voix singulière celle d’Arlequin. Ce n’est pas simplement un personnage qu’il invente, c’est un corps, une présence, un acteur, une promesse !

D’abord Arlequin, comme dans les romans balzaciens et dans de nombreuses pièces d’Olivier Py parvient à s’élever dans la société, à lui donner du sens et pour Arlequin à en révéler la voracité et la destruction capitalisante. Si l’art et les canulars permettent de révéler les misères des puissants et d’éclater le pouvoir tripartite (politique, économique, religieux), c’est que l’analyse qu’offre Olivier Py à l’aune de sa propre écriture traduit les forfaitures de toute une société qui abandonne ses poètes. Alcandre, le vieux poète déchu a besoin d’Arlequin pour faire entendre sa voix parce que comme tout dramaturge depuis Molière, il sait que la politique est une maladie du corps humain et du corps social. Le constat qu’il pose alors est sans appel et oblige à une lucidité que seul le théâtre peut offrir :

« L’apocalypse a eu lieu et nous faisons semblant. L’humanisme n’est plus. Il nous faut un idéal ou bien nous allons mourir des remèdes contre le malheur. » p.133

A ce constat sans appel, Olivier Py oppose une espérance secrète, palpitante et majestueuse qui demeure accrochée en haut du plateau avec des lettres lumineuses : « Quelque chose vient ». Alors, qu’est ce qui vient ? Une verve puissante d’abord qui emprunte à la mythologie en mettant en scène des hommes de pouvoir comme les Titans d’un monde que la force jeune va bientôt renverser et puis il y a la douceur des échanges, l’amour, la promesse d’un héroïsme antique et prodigieux qui garantissait aux hommes une lucide et puissante liberté face aux destins implacables, et puis il y a le théâtre.

La force de cette pièce, c’est qu’elle transforme des échanges discursifs ou méta-théâtraux en aveu de fragilité et qu’elle permet à chaque acteur de s’écouter, de se regarder, et non pas de se jouer de son propre rôle. Il y a quelque chose d’authentique et de sincère dans les personnages de jeunes gens et au premier chef dans le personnage d’Arlequin parce qu’ils sont ceux qui portent une parole, et qui y croient même s’ils sont parfois débordés par la représentation elle-même. Ils se donnent tout entier et ce don permanent d’acteur fête le théâtre, ouvre les possibles et matérialise un passage de relais face à des modèles de théâtre plus éculés qui sont comme immobilisés dans Ma Jeunesse Exaltée jusqu’à la déchéance : ce sera la tragédienne grandiloquente, le ministre de la culture obséquieux, le conseiller sans scrupule, le magnat sans vergogne, l’évêque cardinal serein et révérencieux. Ce sont donc les jeunes comédiens qui galvanisent la scène et renversent le pouvoir et sont tour à tour manipulés, trahis, pris au dépourvu, humiliés, ridicules, rayonnants et même exaltés !

© Christophe Raynaud de Lage

Il y aurait beaucoup à dire sur cette pièce mais ce que l’on peut dire, c’est qu’elle est drôle parce qu’elle se joue de tous les styles, de tous les registres, de tous les démissions, de toutes les espérances. C’est une comédie où les jeunes personnages sont déjà exaltés et cherchent en eux le chemin de l’exaltation sans parvenir toujours à le saisir absolument sauf Arlequin, plein de couleurs, d’ivresse et d’amour qui se donne tout le temps au poète, à ses amis et même à ses ennemis et notamment au Président qui veut sa mort mais qui finit par l’aimer. Même si parfois il s’éloigne de ceux à qui il se donne, l’Arlequin d’Olivier Py attise une parole prophétique que Bertrand de Roffignac incarne avec une perfection toute humaine. Il est de ces acteurs qui jouent leur vie sur le plateau à chaque instant comme tous les autres acteurs de la pièce. La parole qu’il incarne sur scène est une promesse permanente d’amour et de révolution car la rage et la souffrance qu’il porte, les masques et les sensations qui le traversent, les espérances et les désillusions qu’il essuie, le mépris et l’admiration qu’il suscite, tout cela font de lui plus qu’un héros : un idéal, un poème. Il est celui qui n’abandonne jamais l’humanité parce qu’il connaît tous les rouages de la société, il est initié…

Et par là Olivier Py ne nous abandonne pas, lui qui se joue des puissants dans son écriture en dénonçant la concentration des pouvoirs de l’argent et la perte des repères humanistes : il raconte quelque chose dans cette pièce qui nous traverse tous dans notre vie quotidienne et qui anime l’épopée de nos vies médiocres et exaltées : la difficulté d’être au monde et d’être un poète, car déjà beaucoup sont partis à la fin du XXème siècle. Il l’évoque avec une grande force en martelant à quel point ce fut difficile pour le poète, pour les poètes de se relever après tant de froideur et de renoncement. Si Arlequin revient à la vie, c’est pour pousser ce cri d’extase, ce cri joyeux et brillant, ce cri que Louis ne parvient pas à hurler dans Le Pays Lointain de Jean-Luc Lagarce parce qu’Arlequin sait ce qu’il doit faire, sait ce qu’il doit dire, affronte le drame, le théâtre, la tragédie, la transcendance et jusqu’à l’amour : il a le pouvoir.

On pourrait dire encore beaucoup et pas assez mais il faut se rendre à cette célébration lyrique et festive. Si la forme peut paraître longue ou épique, chaque heure passée nous plonge en nous-même avec une force que je n’avais jamais encore éprouvé : c’est un très grand texte et une très grande pièce : ce n’est pas un produit culturel, ni une forme de spectacle vivant… C’est une pièce qui caresse toutes nos révoltes et qui le temps de la représentation nous enlève notre impuissance car Arlequin devient à nous tous notre jeunesse et il exalte en nous le devoir de poursuivre nos idéaux, notre impatience comme le dit si bien Olivier Py dans son œuvre théâtrale.

Raf

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