Critique de spectacle, Critiques de Spectacles à Lyon, Théâtre de l'Elysée

« Dany coiffure » – Monologue capillaire

Spectacle programmé en mars 2022 au Théâtre de l’Elysée – Lyon 7e. Hors les murs dans un salon de coiffure rue Cavenne les 28 et 29 mars, puis le 31 mars en salle, les 1,6, 7 et 8 avril 2022 en salle.

Dany vit dans la Drôme, plus précisément dans le diois, vous savez, là où l’on boit de la Clairette de Die et où l’on est entouré-e des montages du Vercors. Depuis les grandes vitres de son salon elle voit le Glandasse et ça l’apaise. Tiens, il est 8h et c’est elle qui arrive dans sa kangoo bien du cru, elle a du mal à se garer, elle se sent déjà en retard – l’actrice arrive réellement dans sa voiture depuis la rue, nous sommes tous-tes assis-ses dans le salon, les spectateurs-trices ont déjà du mal à ne pas sourire et à la prendre en affection. La configuration hors les murs dans un vrai salon de coiffure permet une proximité, qui efface la barrière de la scène et correspond parfaitement au style de la narration et du jeu, naturel et honnête.

Enfin, il y a des matins comme ça, où elle entre dans son salon et où elle a du mal à se regarder dans le miroir, comme beaucoup de femmes d’ailleurs. Les femmes, elle en est entourée dans son métier. Car la coiffure c’est beaucoup une affaire de femmes. Elles viennent se faire faire une mise en beauté sous les ciseaux et les quelques mots familiers de « leur coiffeuse ». Parfois même depuis 10, 15 ou 20 ans ! Ici ! Dans « son » salon. C’est avec elle, et elle seule, qu’elles veulent une nouvelle coupe, un nouveau visage. Alors Dany s’occupe d’elles, jour après jour, rendez-vous après rendez-vous.

© cie troibatailles

Oui, Dany, elle avait besoin de parler ce matin. Car c’est souvent à elle qu’on se confie et des fois, elle aimerait bien que ce soit le contraire. Pendant une heure donc, on suit les déambulations et la fièvre narrative d’une coiffeuse de village, qui nous raconte avec tendresse comme elle aime son métier malgré les difficultés quotidiennes. L’intérêt de la pièce, outre le moment réellement agréable qu’on passe à l’écouter, est qu’elle aborde toute une myriade de thèmes sociaux sans jamais entrer dans des considérations compliquées qui perdraient l’auditoire. Cela ressemble à des paroles rapportées dans les discussions de famille et de comptoir, ou avec les commerçant-es de nos quartiers et villages – enquête de terrain sous le coude par ailleurs pour l’équipe, qui s’est entretenue avec des coiffeuses de la région de Die. La jeune Dany se demande ce qu’elle fait là, comme un certain nombre de jeunes femmes qui ont décidé de ne pas faire leur vie à la « grande ville », et de rester dans les terres de leur jeunesse. Sont abordées en creux les questions de la place de la femme dans un monde à deux vitesses – les villes vs les campagnes – où proximité avec son voisinage n’a pas le même sens, « encore un croissant ce matin Madame ? dis donc ! », de la pénibilité au travail, « être coiffeuse, c’est faire un métier où tu arrives en avance pour toujours finir en retard ! », de la maladresse avec laquelle on se parle quand on se regarde à travers nos propres yeux « oh qu’est-ce que je suis moche aujourd’hui ». Or, pointe aussi la délicatesse, qui sort souvent quand elle parle de ses clientes et de sa campagne, et de l’utilité qu’elle voit dans son métier.

Il n’est pas la peine de donner trop de détails sur le discours car c’est un spectacle à découvrir comme on écoute une petite histoire de vie à la radio, avec soi-même et en prenant ce qui nous parle comme ça vient. Aussi, le monologue permet ce format « radiophonique », comme une tendre capsule sonore – et visuelle – du quotidien d’une travailleuse de l’esthétique, qui met en beauté peut-être bien plus que ce qu’on ne croit, quand on passe le pas de sa porte.

Eléonore Kolar

Texte et jeu Gaïa Oliarj – Inés Mise en scène Sarah Delaby – Rochette Aide à l’écriture et dramaturgie Marcos Caramés – Blanco Scénographie Ariane Germain Costumes Melody Cheyrou Photos Camille Stella Remerciements Fanny Barthod, Tara Veyrunes, Galla Naccache-Gauthier, Magali Bonat, Oihan Oliarj-Inés, Sarah Delaby-Rochette. Durée : 1h

Compagnie Troisbatailles

Pour aller plus loin :

  • Série de podcasts sur France Culture « Laissez parler les femmes » : épisode 3 Dans le salon d’Isabelle – Bigoudis et émancipation : Au salon de coiffure d’Isabelle en Côte-d’Or, les clientes et coiffeuses nous disent pourquoi et pour qui, elles se font belles. Une coupe de cheveux, ça raconte quoi ?
  • Podcast Parole de Coiffeurs : Chaque mois, un-e coiffeur-euse se confie au micro de nos journalistes sur ses clés du succès business et artistiques

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