Critique de spectacle, Critiques de Spectacles à Lyon

Regard parallèle sur deux spectacles : La petite fille qui disait Non et Z ou la fantasque mais véritable histoire du professeur Zhöpfermonstertanz

Regard parallèle en lien avec deux spectacles : La petite fille qui disait Non [Carole Thibaut] vu au théâtre de la Croix Rousse et Z [par la Compagnie la Clinquaille] vu au théâtre de la Renaissance.

Le conte : outil de construction d’un sujet libre et pensant

On sait bien, au moins depuis les analyses du philosophe et psychanalyste Bruno Bettelheim, à quel point les contes de fées sont primordiaux dans la construction de l’individu comme sujet libre, qu’il s’agisse des enfants ou des adultes. Or quel autre art s’essaie à développer l’individu comme être libre et agissant ? Le théâtre. De fait, représenter sur scène ou dans l’espace mental de l’imagination, des situations fictives qui permettent, même inconsciemment, de penser le monde, constitue l’essence des deux médiums. Pas étonnant donc que le spectacle s’essaie à la réinterprétation et à l’utilisation des codes du conte, particulièrement à destination des jeunes publics. C’est le cas de la dernière proposition de Carole Thibaut à la Croix Rousse, et du spectacle de la Compagnie La Clinquaille à la Renaissance.

Dans l’un comme dans l’autre, il s’agit de travail autour des motifs de répétition et de réminiscence des thèmes de l’imaginaire collectif : partir d’une base partagée par tous pour nuancer, varier, faire bouger même parfois de manière discrète, afin d’être dans une conception du sens à partir de ce qui bouge ou change. C’est parce que chacun.e reconnaît les leitmotivs déroulés au plateau que peut se construire une identité commune qui rassemble LES spectateurs en UN public, et donc en une société construite.

Le travail du mythe est donc essentiellement politique. C’est une réalité que ne cherche pas à nier Carole Thibaut dans sa reprise du Chaperon Rouge en La petite fille qui disait non : être une petite fille, traverser la forêt, croiser un Loup, le tout dans une histoire où le rouge menstruel n’est jamais loin, c’est une réalité historique universelle que chacune traverse. Apprendre à ne pas avoir peur du Loup, de ses différences, apprendre à l’accepter comme il est, à le suivre, à tisser une relation interpersonnelle et à révéler en lui des instincts, somme toute communs, de rêves et d’idéaux brisés, sans le diaboliser, c’est important. Apprendre à lui dire finalement non, à le rejeter, à ne pas le suivre sans volonté propre et à l’aider par une opposition à lui-même, c’est encore plus central, dans notre société qui se réveille toute étonnée à la question du consentement mutuel choisi, réel et éclairé.

© Thierry Laporte

Plus encore que sur la relation entre cette petite fille, Marie, et le Lou qu’elle rencontre dans la « Cité Fauré » en bas de chez elle, Thibaud travaille sur la relation de cette jeune fille avec sa mère, sa grand-mère et sa lignée filiale. Pour apprendre à être mère, pas de mode d’emploi. Chacune fait, dans le meilleur des cas, de son mieux ; et cela n’est jamais suffisant (ou plutôt, cela devient suffisant quand l’enfant apprend à rejeter ce qui justement lui a été transmis… Dur paradoxe à accepter). La mère de Marie, Jeanne, n’est pas une mauvaise mère, elle fait de son mieux, elle essaie, elle veut tout faire bien, mais se faisant, elle impose un autre genre de violence à sa fille, celle de devoir dire oui, sans cesse, à une injonction au bonheur et à l’efficacité. Élevant sa fille dans ce qu’elle croit être une opposition à ce qu’elle aurait elle-même vécu avec sa propre mère, elle reproduit le schéma matrimonial et ne parvient pas à un juste milieu. Elle se prend sans cesse les pieds dans le tapis des choses qu’elle y a enfouies sans vouloir les traiter, et de fait elle trébuche dans sa vie. Marie, elle, recherche une liberté qu’incarne sa grand-mère Louise, qui pourtant on le comprend a été tellement étouffante pour Jeanne. Apprendre à dire NON, de manière constructive, efficace, honnête, permet de ne pas être dans une opposition bêtement radicale à toute proposition qu’on nous fait étant adultes : cet apprentissage passe ici par la représentation sensible de ces thèmes contextualisés.

Dans Z le propos est différent, et son traitement aussi. Par le travail de la marionnette et du corps, par l’illusionnisme, les deux interprètes traitent des figures de l’imaginaire collectif du savant fou et de sa créature morte-vivante. En reposant d’abord sur un chiasme : alors que le corps humain de Caroline Cybula incarne la machine construite par le savant fou, inhumain, robotique, machine qu’il faut remonter afin qu’elle fonctionne, l’humain vivant du professeur Zhöpfermonstertanz (surnommé Z) est incarné par une marionnette à taille presque réelle. Le travail de l’objet ne s’arrête pas là : le plan de travail de notre savant est une réelle machine à jouer, pleine de trappes et de ressorts magiques qui permettent l’illusion et font pousser une danseuse en terre.

Z © Thierry Laporte

Dans la quête de ce professeur de construire une machine parfaite, humaine, incarnation de la grâce par la figure de la ballerine, et dans la quête du pauvre Igor qui cherche à ne pas disparaître, à ne pas se faire remplacer malgré son imperfection par cette nouvelle créature parfaite, on retrouve de nombreuses figures plus ou moins consciemment utilisées : Dr Jekyll et Mr Hyde, Frankenstein, mais aussi Blanche Neige et le chasseur qui ramène un cœur de biche à la méchante reine, ou enfin Pinocchio, conte par excellence de la rencontre entre marionnettes et corps chaud. Ce travail de référence et de construction d’un langage commun est aussi lié à l’esthétique, qui reprend des codes plus inconscients des caractéristiques gothiques des plus grands films d’horreur ou de la littérature anglaise du style. La magie de l’émerveillement provoquée par le théâtre d’objet, très bien maîtrisé ici par ce duo virtuose, déplace les thèmes de terreur pour travailler sur la poésie, la construction d’un déplacement du sens par la construction d’un autre cadre de pensée et d’imaginaire.

Tant dans une pièce que dans l’autre, on trouve donc ce travail sur le conte comme manière de grandir et de se confronter de manière sensible à des thèmes essentiels : le consentement, l’amour maternel et son imperfection parfaite, la question de la mort, de son dépassement, de la recherche d’une perfection qui empêche de voir la beauté des défauts… Ces questions sont d’ailleurs transversales aux deux propositions.

Construire un jeune par ce qu’il absorbe de tous ses sens, notamment au théâtre, est un enjeu politique et sensible fort. Ces pièces, si elles se revendiquent d’une ligne artistique jeune public, sont pourtant riches quelque soit l’âge des spectateurs. Parce que la construction d’un sujet libre et pensant n’est jamais terminée, à l’image des créatures du professeur Z qui ne cessent d’être améliorées…

Louise Rulh.

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