18ème Biennale de la Danse, danse

Gravité, poids, pesanteur [ 18ème Biennale de la Danse]

Retour sur deux spectacles vus pendant la 18ème Biennale de la Danse de Lyon : Gravité crée par Angelin Preljocaj  et TRIPLE BILL #1 (création)

Gravité, poids, pesanteur

Partant de plusieurs créations vues en cette 18ème édition de la Biennale de la Danse de Lyon, cet article sera l’occasion d’aborder des notions incontournables du mouvement : celles de gravité, de poids, de pesanteur. En effet, la danse à beaucoup à dire sur celles-ci. Les aborder, de près ou de loin, consciemment ou inconsciemment fait intégralement partie du travail du danseur.

 « La gravitation est l’une des quatre forces fondamentales qui régissent l’univers. Elle désigne l’attraction de deux masses. Elle est invisible, impalpable, immanente. C’est pourtant elle qui crée ce qu’on appelle la pesanteur. » [Note d’intention d’Angelin Preljocaj]

Invisible, impalpable, immanente. C’est en ces termes que Angelin Preljocaj nous parle de la gravitation, force qui l’a inspiré pour sa nouvelle création, Gravité. La fresque s’ouvre sur un temps d’arrêt : les danseurs et danseuses sont entremêlés et forment une masse de corps nous faisant penser à un grand banquet grec. Tout doucement ils prennent vie et le ballet s’ouvre. C’est une composition relativement classique qui segmente les parties : duos, trios, chœur, adages, portés hommes/femmes, ensembles rapides… L’écriture chorégraphie est très déliée et emprunte d’onirisme. On a parfois la sensation qu’une jambe flotte en l’air, à d’autres moments que les corps sont en lévitation tout près du sol. L’univers de la pièce, teinté de noir, de blanc et de gris nous plonge dans un tableau d’une grande beauté où les corps se meuvent harmonieusement. Dans un perpétuelle quête du mouvement, le chorégraphe cherche inlassablement comment déplacer les êtres dans l’espace de la scène, espace qui s’apparente à un lieu privilégié de la rencontre. Le rencontre, ce moment d’attraction où nous avons la possibilité de toucher l’autre, de l’éviter ou encore de fusionner avec lui. En effet, la danse a beaucoup à dire là dessus, et plus encore sur ce que nous nommons la gravité.

© Laurent Philippe

La gravité ou force de gravitation, pour le dire trivialement, c’est l’attraction entre deux corps qui ont une masse. Si la pomme tombe au sol, c’est parce qu’elle est attirée par la Terre, qui a une masse si considérable par rapport à elle que ce n’est pas elle qui est attirée vers la pomme. Tant que nous sommes sur Terre, nos corps subissent également cette force, quoi que l’on fasse. Dans la danse, on apprend à jouer avec cette force qui nous paraît si évidente qu’on ne la voit plus. Les corps des ballerines, vêtus de leurs pointes et de leurs tulles vaporeux nous font croire à un flottement. En outre, il est possible de se mouvoir si lentement qu’on penserait que la gravité a un effet amoindri. Dans la pièce de Preljocaj, certains de ces effets d’apesanteur apparaissent dans les moments où les interprètes sont au sol. Mais ce qui nous sert surtout avec cette elle, c’est la façon dont on est « accroché » au sol. Grâce à la gravité, nous prenons appui sur la terre en quelque sorte, nous pouvons sentir notre propre poids. C’est de cette sensation que naît en partie le mouvement dansé. En effet, danser c’est chercher son poids, chercher à le déplacer dans l’espace, jouer avec lui. Si je saute, c’est que j’ai envie de mystifier une non appartenance à la terre, au contraire, s’y laisser entièrement tomber signifie un retour à celle-ci. Le mouvement dansé entretient un rapport intime aux forces gravitationnelles, car dans notre quotidien nous n’y pensons plus. Nous avons l’occasion de le ressaisir dans toute sa spécificité, car la danse serait complètement différente si elle subissait un autre champ d’attraction.

Certains styles de danses ont la caractéristique de s’intéresser de près à cette force qui nous relie au sol, et en particulier un nouveau venu sur les scènes contemporaines : le hip-hop. Apparut dans les années 1970 aux Etats-Unis, il se démocratise de plus en plus et on trouve aujourd’hui un grand nombre de chorégraphes de danse contemporaine issus de cette « école », ou encore très inspirés. Dans notre palmarès français, nous pouvons citer Mourad Merzouki qui dirige actuellement le Centre chorégraphique national de Créteil, et Kader Attou dont nous avons eu l’occasion de voir une pièce tout à fait originale cette année à la Biennale de la Danse. Au Radiant-Bellevue de Caluire-et-Cuire, la soirée Triple Bill #1 a convié trois artistes talentueux, Jann Gallois, les Tokyo Gegegay et Kader Attou sous les hospices du pays du soleil levant.

Reverse by the Tokyo Gegegay / © Kota Sugawara

Trois pièces courtes se sont succédées, interprétées par des danseurs de hip-hop/break japonais. La première, Reverse, par Jann Gallois a misé sur un pari chorégraphique qui sort de l’ordinaire. Les interprètes resteront collés au sol, en ne prenant appui que sur leurs têtes, le dos, le haut du buste, etc. Cette façon d’appréhender le sol, très caractéristique de certaines figures du hip-hop nous amène à penser autrement l’équilibre et la gravité. Le spin, c’est ce mouvement où la tête, drapée d’un bandana ou d’une autre protection, reste collée au sol tandis que les jambes et le buste vont effectuer un mouvement rotatif (cf photographie ci-contre). Il y a également la coupole qu’on appelle aussi le windmill. Pour l’effectuer, le danseur va prendre appui sur ses mains et soulever son corps horizontalement à l’aide de ses coudes et de ses avant-bras. Il va ensuite tourner sur le dos puis revenir dans la position initiale plusieurs fois de suite. Le tout, effectué avec fluidité, nous fait penser au mouvement qu’aurait une assiette creuse ou un bol lorsqu’on le pose trop vite et qu’il vacille.  Ici donc, le rapport à la gravité s’inverse car ce n’est plus le bas de notre corps sur lequel on s’appuie généralement mais le haut, voire la tête. L’effet est immédiat, nous avons l’impression que le danseur est « à l’envers », que le sol n’est pour lui qu’un tapis de jeu et qu’il n’est pas soumis de la même manière que nous à la gravité.

Inverser les rapports, chercher son poids, réfléchir à comment faire émerger des situations d’étonnement pour le public, ce sont tout autant de choses qui entrent en compte lorsqu’on danse. La force de gravitation est au fond ce qui nous permet de danser comme nous le faisons sur notre planète. Immanente, impalpable, invisible, c’est pourtant elle qu’on a l’impression de percevoir, toucher et ressentir dans la danse. Elle est une force qui en fait naître une autre en nous, l’irrésistible et essentiel besoin d’aller et venir pour rencontrer l’autre, pour rencontrer le mouvement.

Eléonore Kolar.

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