Critique de spectacle, Edinburgh Festival FRINGE, Festival d'Edinburgh 2017

Staging Wittgenstein by Blair Simmons and Nathan Sawaya Productions (NY / California, USA)

Pour l’édition 2017 du Festival d’Edinburgh, Le FRINGE

Une performance hors du commun

Ludwig Wittgenstein, l’auteur du Tractatus logico-philosophicus, développe une théorie du langage selon laquelle l’origine des conflits humains est l’impossibilité physique de transmettre avec exactitude nos pensées à quelqu’un d’extérieur : en effet, on ne parle jamais exactement de la même chose même si on utilise le même mot. On croit évoquer quelque chose que les autres vont comprendre mais on parle en fait de quelque chose de différent, dont les mots peinent à rendre compte. De plus, les mots ont un sens qui évolue dans la conscience collective à chaque utilisation, et le langage est un concept vivant et évolutif.

Blair Simmons se lance le défi de monter cette théorie sur scène. Elle place donc le spectacle dans une sorte de monde parallèle, une autre société d’hommes ballons. La découverte de l’autre et de soi-même passe donc par l’exploration d’un nouveau matériau, de gigantesques ballons en latex dans lesquels se glissent les acteurs lorsqu’ils sont gonflés. Le spectacle est donc entièrement dépendant d’un objet instable, qui risque d’exploser à tout moment, tout comme les relations sociales sont dépendantes d’éléments extérieurs qu’on ne peut maîtriser pleinement. Or c’est en poussant ces objets dans leurs limites que les choses les plus intéressantes se produisent… Ainsi le théâtre d’objet traditionnel est bouleversé, l’homme n’a plus le contrôle de son outil ou plutôt, il joue à perdre ce contrôle autant qu’il le peut. De fait, le spectacle est différent à chaque fois, l’objet devenant non plus le prétexte mais aussi le metteur en scène du spectacle.

staging Wittgenstein
© Ella Barnes et Blair Simons / Staging Wittgenstein by Blair Simmons and Nathan Sawaya Productions (NY / California, USA) / Edinburgh Festival FRINGE 2017

De plus, ce matériau permet la création d’images absurdes tres poétiques, réinventant un Adam et une Eve d’une nouvelle espèce, et montrant l’inévitable impossible retour à l’Eden lorsque la bulle protectrice du ballon explose et que nos protagonistes se decouvrent nus pour la première fois. Le jeu des lumières permet également l’exploration d’un univers entier de nouvelles sensations et perceptions, tant pour le spectateur que pour les acteurs.

Bien sûr, le cœur du projet reste une réflexion sur le langage, qui est ici utilisé et détourné, ramené a un statut de simple code humain et sociétal, dépendant d’un groupe et non d’une réalité intrinsèque (loin d’une conception platonicienne du langage, donc). Il faut reconnaître que la métaphore langagière, portée au plateau, n’éclaire pas réellement le travail touffu de Wittgenstein, cependant ce travail sur un matériau aussi étonnant ouvre de nombreuses portes à cette performance hors du commun.

Louise Rulh

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