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King Kong Théorie d’après Virginie Despentes dans une mise en scène de Vanessa Larré

Au TNP Villeurbanne jusqu’au 6 mai 2017

Vanessa Larré se propose d’adapter à la scène l’essai de Virginie Despentes paru chez Grasset en 2006, King Kong Théorie. L’essai se déplie et se déploie sur la scène à travers trois comédiennes : Anne Azoulay, Marie Denarnaud et Valérie de Dietrich. Les trois comédiennes arpentent la scène pour la délivrer : délivrer une parole nécessaire sur des sujets aussi terribles que le viol, la prostitution ou encore le rapport des femmes à notre société de phallus. Le décor est contenu dans une sorte de terre-plein central dont la lumière carminée chatoie dans l’obscur trou noir que constitue ces sujets. Trous noirs parce qu’ils sont encore tabous dans notre société, pourtant le texte ne cherche pas tant à parler sans tabou mais plutôt à faire émerger et à décloisonner des non-dits. Ce qui est politique dans ce texte, c’est que précisément il ne critique pas : il semble énoncer une posture et raconter une divine comédie d’une femme revenue non pas de l’enfer mais du monde réel, qui se dérobe toujours dès que nous tentons de lui imprimer notre marque.

La scène est précipitée de quelques meubles et autres objets qui viennent s’arrimer à l’écran central, où sont raturés des gros plans filmés en direct du visage des comédiennes sur scène ou des images de synthèse. Au delà de sa représentation, le texte est raconté avec quelques bribes de théâtralité, sa seule force sert de profération et d’émotions, mais avec une retenue et une pudeur qui ne s’érode même pas quand il est demandé au public de réfléchir à la masturbation féminine. Le texte ne provoque pas et les comédiennes rendent davantage compte du mouvement de la pensée qui l’influe et pas tellement du déchirement dont il est le pamphlet : le récit d’une femme violée, puis qui se prostitue pour travailler et raconte l’enchevêtrement de ses désirs à un monde qui ne pourra jamais la posséder parce qu’elle est totalement libre. Et s’il est écrit pour dévoiler avec fracas et parfois avec sensualité, tout ce qui relève de la défaite de la pensée et de l’abandon de soi, révélant ce qu’est la liberté d’une femme, raconter, se raconter, et ne pas chercher à juger mais à comprendre, les comédiennes et la mise en scène jouent beaucoup trop sur les correspondances entre ce que ce récit dit des femmes au XXI et ce que les morales lubriques de la bien-pensance préconisent pour elles.

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© François Berthier

Il manque à ce spectacle de la lucidité, le déchaînement d’une force vive et irrépressible, la sensation que le monde autour de nous est bien plus cruel qu’il en a l’air et que les femmes n’en sont pas simplement les victimes, mais qu’elles sont l’objet même et le jouet de la possession telle que la définit Pasolini dans Pétrole (Notes 65, confidences au lecteur) :

« Le choc qui viole la chair s’étend sur toute la face infinie de la chair, pas seulement sur un point en particulier. Tout le corps, dont la conscience, de l’intérieur, est illimitée parce qu’elle coïncide avec l’univers, est entraîné par la violence avec laquelle celui qui possède se manifeste […]. »

Cette possession qui est vécue soit dans le viol, soit même dans une relation tarifée ou alors dans une relation maritale est exactement la même si l’on en croit l’auteure, et la dramaturgie ne rend pas suffisamment compte de cette tension exacerbée de la femme qui en réalité ne peut plus avoir de sexe, parce que son sexe est possédé par l’autre, jusque dans les sextoys, dont une très belle scène montre qu’ils sont subordonnés au fait sexuel et pas à la sexualité. L’essai de Virginie Despentes tend à nous expliquer que la sexualité est un foisonnement intérieur, qu’il présuppose les traces d’une vie intérieure qu’on imagine même pas à côté des traces extérieures du corps et de ses tressaillements. Au demeurant, les comédiennes donnent au texte un caractère injonctif qui au lieu de nous questionner, ne fait que se dérouler sous nos yeux impuissants. Il manque du trouble autant que de la fragilité dans cette mise en scène, qui, quoique je puisse en dire ici, est tout de même assez réussie si l’on s’en tient à un critère purement objectif.

De fait, le rapport de la femme à toutes les représentations sociales, politiques et même cinématographiques qui sont corroyées par notre société jusque dans la pornographie se traduit dans le spectacle par des images de femmes capables de s’en détourner alors qu’il faudrait sans doute pour elle en expugner la violence, en répercuter les chocs dans une belle et grande catastrophe scénique qui ne peut pas se jouer dans l’abstraction mais doit faire exploser le corps des femmes. Les comédiennes ne portent pas simplement un texte, mais bien plus un corps incandescent prêt à en découdre, prêt à se battre et à demander des comptes. L’impression d’apaisement du texte par son côté introspectif dénote totalement avec son aspect imprécatif : il aurait fallu un souffle plus cru pour en révéler les débordements sur la scène, qui, trop réglée, nous donne un spectacle mesuré qui semble taire, au moins amoindrir, la terreur de l’histoire qu’il offre au spectateur.

Raf.

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