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Don Juan revient de la guerre d’Ödön Von Horváth dans une mise en scène de Guy Pierre Couleau

Joué du 4 au 7 Avril au Théâtre de la Renaissance d’Oullins

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© André Muller

Don Juan revient après la guerre : entre espoirs et désillusions…

Le Renouveau : c’est le rêve qui emporte notre Don Juan dans ce retour d’une guerre meurtrière. L’espoir, c’est celui de retrouver la femme perdue et qui le sauvera de ses anciens démons. La désillusion, c’est quand l’homme mauvais ressurgit dans la solitude de l’abandon et revient le hanter dans sa quête vaine pour retrouver quelque chose qu’il croit être enfoui, mais qui s’est en réalité évaporé dans la fumée des canons. 

La pièce se joue en 3 actes et 23 « tableaux » (scènes spécifiques qui se passent à chaque fois dans un endroit particulier). C’est ce qu’il faudra à un Don Juan repenti pour s’acheminer petit à petit vers sa fin inéluctable. On ressent une certaine morale sur les conséquences de l’inconséquence , le fameux dicton « on finit toujours par payer pour ses actes » fait force de loi divine ici. 

Déroulement 

Le premier acte s’ouvre sur un rideau rouge sang, rouge comme la fin de la guerre, rouge comme la maladie, mais aussi rouge comme la vie qui continue malgré tout après les horreurs des quatre années qui ont vu la défaite de l’armée dans laquelle était engagé Don Juan. Le repentir est au cœur de l’acte ainsi que l’espoir qui le guide dans sa quête folle pour retrouver son amour. On y retrouve un certain bienfait de la guerre : celle-ci change les hommes, en bien ou en mal. Souvent les hommes bons reviennent meurtris, et les hommes égarés retrouvent le droit chemin. Mais ce droit chemin que Don Juan avait pensé retrouver se heurte à la maladie et à l’épidémie de grippe qui sévit en Europe les années après la guerre.

Le second acte s’ouvre sur un rideau d’or. L’or qui baigne dans son halo doré et rassurant, le cœur des hommes et les attire doucement, mais sûrement, vers la luxure et l’oubli. L’oubli pourtant n’atteint pas Don Juan. C’est la frustration, mortelle aux cœurs des Hommes, qui le fait retomber dans les bras des femmes. On rit beaucoup à travers des scènes relativement cocasses et des dialogues bien choisis, mais au second plan on perçoit cette tension violente d’un homme cherchant dans chaque femme les pièces égarées d’un puzzle qui lui permettra de réparer son cœur brisé et de compenser l’ignorance dont il est victime de la part de celle vers qui il tend. 

Le dernier acte s’ouvre sur un rideau blanc, comme l’hiver, comme un bonhomme de neige qui repose là à tout jamais, terrassé par le vent qui souffle et par sa propre folie.

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© André Muller

Mise en scène 

La mise en scène rend justice à la pièce originale. En effet, seules deux comédiennes sont présentes sur les planches pour assurer les rôles de 35 femmes. 

« Ces trente-cinq femmes doivent être interprétées par beaucoup moins de comédiennes, de sorte que chaque comédienne ait plusieurs rôles à jouer », indique Ödön von Horvath en préambule de l’œuvre. 

Mais on ressent quelque chose de plus fort que ça. Chaque femme que Don Juan aura croisé aura quelque chose en commun avec l’autre, elles vont toutes vivre, avec une intensité plus ou moins forte, voir délétère, la même frustration et la même humiliation. Cette ressemblance est ainsi plus accessible et plus évidente en restreignant de la sorte le nombre d’actrices présentes sur scène pour interpréter tout ce ballet des amoureuses éconduites. Et c’est une vraie prouesse d’interprétation que de se mettre dans la peau d’autant de personnages avec la même conviction dans la voix et dans les gestes, la fluidité est constante tout au long de la pièce et le pari est réussi pour la Comédie de l’Est.

Nils Öhlund ne joue certes qu’un rôle comme étant celui du Don Juan qu’on connaît, le bourreau des cœurs « malgré lui ». Mais joue-t-il en réalité un seul Don Juan ? Où n’a-t-il pas le mérite de jouer un seul homme aux facettes multiples, capable des pires exactions comme des élans les plus passionnés ? On a envie de dire oui, et on relève une interprétation de l’homme torturé intérieurement exécutée avec brio par l’enfant de l’ENSATT, entre délire et domination morbide, passion et désenchantement. Un homme somme toute éternel, Don Juan étant l’incarnation de cette face sombre qui resurgit chez certains, pour les malheur des autres. 

« C’est une histoire d’hier pour aujourd’hui. Cette histoire a cent ans. Nous nous interrogeons sur le devenir de notre planète. Puisse cette histoire nous aider à comprendre ce que sera demain. » conclut Guy-Pierre Couleau.

Et quand on voit la tournure des événements dans notre société actuelle et les sujets qui interpellent l’opinion, on ne peut que lui donner raison. Puisse Don Juan rester cet avertissement hors du temps qui trouvera une résonance à chaque époque, et qui nous préviendra contre la folie des hommes et de l’histoire qui se répète.

Vianney Loriquet

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