Au théâtre de l’épée de Bois du 7 Mars au 9 Avril 2017
Lili c’est celle qu’on ne nomme pas, qu’on ne représente pas, qu’on ne regarde pas. Lili est un creux dans lequel viennent se loger tous les manques d’une humanité qui ne sait pas, qui ne veut pas donner. Pas plus d’amour que de tendresse, Lili ne le sait que trop. Alors, il lui faudra composer avec ses désirs, ses images, ses interprétations et ses dires pour reconstituer, avec elle, une vie qu’on lui refuse.
La scène d’ouverture est plongée dans l’obscurité. Seule une lumière vient se poser sur ce qui semble éteint. C’est Lili, dans le désespoir tout blanc, qui se balance pieds et poings liés dans une camisole, blanche. Le chant qu’elle murmure, aux notes si lancinantes, ne laisse pas d’échappatoire. L’infirmière, dans une blouse blanche, arrive en traître. Ce n’est pourtant pas un couteau qu’on plante dans le dos de Lili, c’est une piqûre. Oui, mais elle suffoque quand une aiguille, aux mêmes effets qu’une lame, la ramène au « tout blanc » quand il n’y avait pas encore de désespoir. Piqûre de rappel, sans doute, rappel des joies et des petits bonheurs simples de Lili, l’idiote.
Assise sur un banc, au-devant de la scène, Lili nous raconte ce qu’elle voit, ce qu’elle entend et ce qu’elle pense. Plongée dans l’intériorité de celle qui en semble dénuée, ce qui saisit le spectateur n’est pas tant de faire face à cet être bancal que de se laisser transporter par cette parole qui s’ouvre à un monde que l’on ignore. Sur scène, il y a deux Lili : celle qui parle et celle qui ne peut se mouvoir qu’avec des gestes, des rires ou des cris, celle qui pense et celle qui est absente, celle qui aime et celle qui dégoûte, celle qui se comprend et celle que l’on réprime, celle qui est et l’autre que l’on voit et qu’on laisse. La première est interprétée par Catherine Berriane qui, à elle seule, parvient à donner à ce personnage toute la candeur et l’angoisse d’une humanité refoulée et fait naître chez les spectateurs toute l’affection que Lili réclame. Au contraire, l’autre Lili, jouée par Flore Zanni, est celle qu’on ne voit pas, qu’on ne comprend pas puisqu’elle dérange avec tous ses gestes et ses bruits. Alors on la tient à l’écart, là, bien en retrait sur la scène.
D’après le roman Le désespoir tout blanc de Clarisse Nicoïdski, la mise en scène de Daniel Mesguich se veut une ode à la différence sans indifférence. C’est à la lueur d’une lumière jaune et pourtant si chaleureuse d’une maison que règne le mensonge, le dégoût et les coups et, c’est dans une atmosphère mystique et lugubre où se mêlent les sourires de la vierge Marie et les souffrances du Christ que Lili déploie toute sa vérité. Des deux comédiennes à la représentation d’une famille de bambin en bande de poupons aux voix-off : aucune indulgence. Tous, sont les jouets du désespoir. Mais ce sentiment qui pourraient les faire semblables n’est qu’une raison de plus pour engendrer une nouvelle distance. Au désespoir de la mort du père, de l’adultère de Léon et du suicide de Luce répond l’anéantissement de Lili, enfermée entre quatre murs, enveloppée dans un carcan blanc car, dans la famille de Lili l’affection n’est qu’une infection.
Ce qu’il reste du spectateur au sortir de la pièce ? Une Lili au fond du ventre qui, pour la première fois, a su attendrir pour se faire aimer. Rendue aux yeux de tous, Lili est une mise en scène où Daniel Mesguich parvient à réaliser « la tache aveugle de tout théâtre possiblement visible soudain ». Une ritournelle raisonne : celle d’une folie. Folie de ne pas s’y rendre !
Marie Chateau