Critique de spectacle, Critiques de Spectacles à Lyon

Ubu Roi (ou presque…) d’après Alfred Jarry, par Christian Schiaretti

Vu au TNP

La finesse dans la crotte

Quand Christian Schiaretti apprend qu’il ne va pas être reconduit en tant que directeur du TNP à la fin de la saison 2016, il entre dans un combat contre l’institution, et décide de quitter la scène dans la merde, et même dans la merdre. C’est donc tout à fait logiquement que s’impose l’idée de monter un Ubu Roi (ou presque), reprise de la pièce de Jarry qui, pour rester dans l’esprit d’origine de la pièce, mêle différentes digressions contemporaines au texte d’origine, lui-même pioché dans les différents textes d’Ubu écrits par Jarry.

https://i0.wp.com/www.arlyo.com/wp-content/uploads/2016/04/Ubu-roi-ou-presque-Une.jpg  © Michel Cavalca – TNP

Le spectacle se compose d’une scénographie en papier qui construit un dépotoir à ciel ouvert, recouvert d’une terre humide très foncée, de détritus en tous genres jetés aléatoirement sur le plateau (sacrilège !), composée de statues de forme et de couleurs évocatrices de crottes gigantesques : la mise en scène se vautre allègrement dans une esthétique outrancière et organique, tout à fait dans l’esprit du texte. De même, les costumes déformants de Fanny Gamet ajoutent des protubérances à nos personnages, ou écrasent leurs visages dans des masques lisses, ou encore soulignent les traits outranciers et gras d’un visage. Ceux qui ne sont pas déformés dans leurs costumes, comme la famille royale, le sont dans leurs prononciations, leurs gestuelles, leurs corps eux-mêmes : rien n’échappe dans cette mise en scène à la multiplication de difformités en tous genres.

Car la pièce elle-même est difforme. La langue française y est massacrée dans les règles de l’art, niée jusque dans la formulation des insultes (même « merde » n’est pas respecté et devient « merdre »), les genres sont mêlés, la chanson s’invite sur scène, les atrocités grotesques s’enchaînent en un ballet infernal ; et Schiaretti parvient à rendre cette explosion exubérante du texte sur la scène. De ce fait, une énergie naïve se déploie sur scène, celle de l’enfant capricieux et égocentré qu’est Ubu, celle de la soif de pouvoir (et non pas de simple puissance, contrairement au père Ubu), qui dévore la mère Ubu, celle enfin de la troupe qui ressuscite dans le bazar cette pièce polémique.

La finesse de la mise en scène de Schiaretti se manifeste dans la multiplication des références en tout genre qui parsèment la représentation. Références aussi éclectiques que Orange Mécanique, Narnia, les Affranchis, Cyrano de Bergerac ou les Monty Python, qui peuvent nourrir l’excitation intellectuelle de certains sans pour autant entraver le plaisir des autres, qui ne liraient pas tous les signes sous-jacents à la mise en scène (ce qui est d’ailleurs probablement le cas de tout le monde, tant les références sont nombreuses et piochées dans la culture personnelle et collective des membres de la troupe). Ainsi peut-être s’accomplit l’idéal initial du Théâtre National Populaire, à la tête duquel Schiaretti a finalement, malgré cette mise en scène provocatrice, été reconduit…

Louise Rulh

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