Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN

Prométhée Enchaîné d’Eschyle dans une traduction et une mise en scène d’Olivier Py

Olivier Py avec trois comédiens Philippe Girard, Mireille Herbstmeyer et Frédéric le Sacripan proposent cette année en Avignon un spectacle itinérant. Ce concept d’itinérance et la nécessité de revenir à une forme théâtrale simple mène cette année à la simple présence d’un tréteau et à l’élaboration d’une scène bifrontale qui nous immerge dans le spectacle de l’acteur et du poème qu’il profère…

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© Christophe Raynaud de Lage

Le travail de l’acteur dans cette forme que l’on pourrait dire « précaire » magnifie le texte du tragique grec. La traduction de la tragédie Prométhée Enchaîné est d’une beauté implacable, Olivier Py semble avoir retrouvé quelque chose d’un pneuma essentiel. Il s’approche d’une langue fluide et intense, en même temps que très resserrée. L’immédiateté, l’urgence de la parole, la nécessité de libérer la parole proscrite est rendue par des mots puissants et orageux. Le vers grec est rendu à son instinct de profération et les comédiens font émaner de leurs corps et leurs voix, quelque chose du tragique de nos existences, de nos secrètes incommunicabilités. Ils libèrent une parole insatiable, ils nous font entendre un tableau synoptique de notre modernité la plus criante : Prométhée accuse le pouvoir, il est le dissident, le banni, et sa dissidence qui pourvut l’homme en feu, naissance de tous les arts et maître de toutes les circonstances, fit naître la révolte, plaça l’homme au rang des dieux, non pas par la conquête mais par l’amour.

Prométhée est celui qui aime les hommes et qui est prêt à se sacrifier. Il est une figure christique en même temps qu’initiateur de l’histoire des hommes. Frédéric le Sacripan qui interprète Prométhée livre là une performance qui fait naître à la scène un Prométhée sensible et tapageur, plein d’espérances et dont les plaintes ne sont que des cris de colère lancés à l’assaut du ciel. Prométhée ne crie pas sa vengeance, il est le poète même, inaccoutumée au monde, toujours inachevé dans sa parole. Il déplore mais les autres hurlent pour lui, c’est le cas par exemple du chœur des nymphes océanides pris en charge par Mireille Herbstmeyer qui condamne violemment cette injustice. Cette figure féminine est une figure de l’inconstance et de la déploration. Elle critique le pouvoir aliéné et tyrannique de Zeus en même temps qu’elle n’ose s’insurger contre, elle admire le combat de Prométhée en même temps qu’elle n’est pas en mesure de le soutenir. La comédienne tiraillée par une force destructrice et une terrible tristesse prend en charge ce rôle et reste au plus proche de la figure de Prométhée, elle cherche même à le protéger, à l’entourer de sa bienveillance, mais elle est caractérisée par son impuissance à agir. Le visage meurtri et la voix glabre, elle est la femme aimante en même temps qu’inconséquente.

Philippe Girard enfin interprète tous les autres personnages qui se succèdent devant le supplice de Prométhée. On reconnaît la diction inaltérable de ce comédien, qui successivement incarne les différentes positions : entre Vulcain qui enchaîne et cloue Prométhée malgré qu’il en ait à ses chaînes, l’Océan généreux qui voudrait infléchir le courroux de Zeus, Io pourchassée et harcelée sexuellement par Zeus et Mercure impétueux et fragile, le comédien apparaît comme un être puissant tout en restant sensible. Entre la bienveillance, l’orgueil et le désespoir, Philippe Girard utilisant des costumes et des accessoires différents pour chacun des personnages, donne à voir et à entendre une multitude sans tomber dans l’épanchement, on lui retrouve sa fougue inquiétante du Roi Lear.

En attendant de voir les quatre pièces d’Eschyle à la Chartreuse, il nous faut reconnaître la force singulière de ce spectacle total pourtant si peu pourvu en comédien et en décor, peut-être parce qu’il revient à la forme première du théâtre, en tant qu’il est le rassemblement d’une communauté, non pour célébrer l’esthétisme ou l’art en tant que tel, mais pour redonner un sens politique à la cité, la fonder ou la contenter dans ses fondements pour prévenir les dangers de la tyrannie. En ce sens, faire de Prométhée une sorte de prisonnier politique, c’est redonner son sens à la tragédie. Olivier Py explique cela très bien : « C’est la démocratie qui est en jeu, fondée sur le droit à la parole, à la contestation, comme régime dans lequel on peut dire le contraire de ce qui est souverain »…

De même que l’épilogue qu’il inscrit à la suite de Prométhée pour pallier à la carence du triptyque qui fait que l’on a l’impression que Prométhée sera prisonnier à tout jamais, prépare ou tente de retrouver le sens du Prométhée Délivré, créant un véritable poème, sur la force de la poésie. Avec des mots simples, l’épilogue nous fait trembler de part l’horizon qu’il dresse, et qui nous redonne l’espoir de combattre, de changer le monde, parce que le poète n’est pas un prophète mais il écoute et souffre patiemment avant de définir un monde toujours incomplet, modèles de vertus ou de déchéances, ce sont les poètes qui écrivent l’histoire…

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