Le spectacle évoque en filigrane les supporters du Tour de France se déplaçant autour des routes pour suivre les différentes étapes et voir passer devant leurs camping-car le peloton sacré.
Patrick Grégoire construit à partir de témoignages une sorte de récit qui tisse le lien entre un passé glorieux pour les personnages. Ils évoquent une sorte d’âge d’or pour eux du Tour de France qu’ils ont vécu en tant que supportes, porteurs d’eau ou même coureur pro et expriment la fascination ou la dénégation présente de leurs vies affermies.
La situation se développe chez le personnage de Bernard tandis qu’il accueille Jacques en vue de lui acheter son camping-car. Raymond les rejoint ensuite, lui est devenu mécano après avoir vécu une sorte de traumatisme émotionnel pendant le Tour. Chacun évoque ses souvenirs personnels, fait de grands gestes dans l’espace exiguë de la scène, espace à l’image de ses supporters, pénétré de cyclisme aux tentures jaunes et à la décoration proche de celle d’une guinguette. On peut également relever la présence fortement accentuée de saucisson accrochés à un parasol, de glacières remplies de bière et de vin rouge, ainsi que de drapeaux, dont l’irremplaçable drapeau rouge blanc rosé aux couleurs des vins !
Les différents comédiens évoluent dans cette situation bien établie et qui tente de retrouver par le récit, une sorte de génération perdue du cyclisme qui déplore le dopage et même quelques fois le sponsoring. Pour reconstruire ses souvenirs Bernard a imaginé un jeu dans lequel le joueur retrouve au bord de la route en pédalant, différents personnages qui sont tous des souvenirs de Bernard et de Raymond, figures qui incarnent des espaces métaphoriques comme si elles étaient toujours là présentes, mais qui en même temps que présentes aux différentes étapes, doivent pour avoir du sens, subir le récit éprouvé de Bernard et Raymond, parce que Jacques qui ne les connaît pas, ne peut pas savoir qui ils sont. Ce jeu cycliste qui reproduit des étapes du Tour est aussi une plongée dans la mémoire de Bernard. La pièce dresse aussi toutes les fractures et toutes les blessures que chacun aurait pu vivre, et nous dévoile le portait intime d’hommes ayant souffert et souffrant pour assouvir leurs passions, c’est dans ces extrémités que le terme de forçats prend tout son sens.
Le jeu des comédiens irradie une bonhomie implacable, leurs échanges se transforment en une causerie débonnaire et l’on sent dans la finesse de l’écriture, quelques appétences lucides, quelques références littéraires et culturelles toujours avenantes participant d’un humour décalé et joyeux.
Le jeu reproduit pour eux une étape difficile, une importante montée, on voit les trois comédiens s’époumoner et pédaler pour parvenir à boucler l’étape, chantant presque avec lyrisme les vertus du camping en plein-air et la force des rencontres et de l’amitié. Le texte est plein de références au monde du cyclisme notamment dans la description du Tour, de même que dans les noms de certains coureurs. Cette multiplication des références au monde du cyclisme n’est pas gênante en soi car elle s’inscrit dans une logorrhée poétique, parfois même contemplative de l’exploit. La médiatisation du Tour est elle aussi évoquée, construisant et décrivant des jeux de regards et de réflexions assez drôlatiques entre la caméra, la télé et les différentes personnages. Le personnage de Raymond, vieux grincheux tragique redécouvre peu à peu ses instincts passés et renaît à la vie du Tour en même temps qu’il termine le spectacle, accompagné par un air d’accordéon, faisant le lien entre leurs histoires personnelles et la grande histoire du Tour.
En définitive, cette pièce de Patrick Grégoire s’inscrit subtilement dans un récit proche du témoignage et construit comme tel, en même temps que se tisse une fabrication théâtrale et poétique comique et exigeante. Les comédiens nous emporte, il nous font sourire, ils sont beaux et drôles, tout en douceur emportés par la fièvre du Tour.