Critique de spectacle

Les Oranges d’Aziz Chouaki dans une mise en scène de Marie Fernandez et Mohammed Brikat par le collectif T

Vu aux Clochards Célestes

Le spectacle déroule 150 ans d’histoire algérienne, à travers un texte puissant, à la poésie subtile et provocatrice, incarnée avec beaucoup de justesse par le comédien, qui endosse les différents rôles, ou plutôt les différentes formes de discours liées à tel ou tel personnage caractéristique du pays algérien ; qu’il s’agisse d’un partisan d’Abd el-Kader, ou bien même d’un intégriste religieux, ou bien encore d’un homme du peuple plein de compassion et d’amour pour son pays.

Le texte se décompose en un univers polymorphe, aux histoires cousues les unes aux autres au fil de l’évolution historique du pays, qui fait croire ironiquement et avec naïveté à la possibilité d’un progrès, d’un horizon de paix et d’amour. Or, à chaque fois qu’un événement crée une lueur d’espoir, qu’il s’agisse de l’indépendance, ou bien d’élections libres, le personnage de la pièce exulte de désaveux. C’est peut-être cette ambivalence entre aveux d’espoir et d’espérance et désaveux d’amour et souffrance passive de ne pouvoir régler les conflits, qui crée dans ce spectacle, une très grande émotion, redoublée par la puissance de Mohammed Brikat, virtuose et en même temps sincère et authentique, plein d’une fragilité qui étreint et en même temps agresse.

Ce texte est en même temps une déclaration d’amour à son pays, à la culture algérienne et même à tous les hommes. Même si un spectateur non-averti de l’histoire algérienne assiste à ce spectacle, il n’en reste pas moins qu’à défaut de ne pas comprendre l’ensemble des références (qui sont nombreuses), il ressent toute cette histoire à demi-disqualifiée par l’opprobre des hommes qui ont prétendu la faire, au nom du peuple, de Dieu, par la corruption, la violence ou toutes autres formes d’oppressions.

Le texte revêt dès lors une dimension politique : c’est une sorte de rêverie solitaire, une sorte de soliloque aux accents lyriques qui parfois s’ancrent dans un humour décalé et propre à un certain exotisme que le comédien manie avec légèreté.

Le travail de mise en scène tend véritablement au fur et à mesure du travail à occuper l’espace, tous les espaces du possible, la scène devenant l’incarnation du pays en perpétuelle recomposition. On y ressent aussi le travail essentiel d’un théâtre revenu à sa simplicité, quelques objets disséminés ci et là, quelques petites mélodies, des espaces clairement définis qui correspondent à différents moments d’interprétation du texte. Le texte est en lui même une déclaration d’amour théâtrale, il n’est pas une pièce dogmatique sur l’obscurantisme ou sur la désillusion révolutionnaire, c’est de la pure poésie qui crée une sorte de jardin composite, qui laboure l’histoire en sillons d’espoirs et arrache les scories du progrès.

Le comédien restitue dans son interprétation, cette sorte de lucidité heureuse des différentes voix qu’il incarne, tout en donnant à certaines voix, une pieuse agressivité. On sent dans ce texte tout l’héritage des auteurs de la génération de Chouaki, qui ont grandi dans des univers ravagés par l’obscurantisme religieux et pour qui le théâtre a été un moyen de subsister, d’exister sans haine, parce que l’art dans toutes ses formes, n’est pas seulement un remède à cette haine, mais un messager d’espérance imputrescible. En cela, le travail du Collectif T mérite d’être relevé et diffusé, parce qu’il est porteur de cette génération qui combat l’obscurantisme qui a toujours existé. L’évocation des intellectuels assassinés dans les années 1990 parmi lesquels émerge le nom d’Aloula est en cela très évocateur…

Il s’agit là d’un très beau seul-en-scène, qui de fait réussi parfaitement à ne pas tomber dans toutes les ornières de ce type de spectacle, simplement parce que le comédien sait ce qu’il fait et maîtrise parfaitement son cœur quand il donne corps au texte…

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