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On pleure nos glaciers comme des morts – « Mort d’une montagne » de Jérôme Cochet et François Hien

Spectacle dans le cadre de la programmation de janvier 2022 au Théâtre du Point du Jour, Lyon 5ème. Joué en itinérance le mardi 18 janvier 2022 au Lycée Branly, Lyon 5ème.

Cela fait maintenant huit ans que Fanny est la gardienne du refuge du Vautour situé au pied de la Grande Reine, le plus beau sommet du massif fictif des Aigues. Un soir, alors qu’une cordée continue sa course magistrale vers cette montagne, on entend un craquement comme jamais les guides n’en ont entendu. Le glacier est tombé. L’immuable glacier toisant la vie des hommes depuis des millénaires, affrontant les nuages et le temps, l’orage et la neige, est tombé.

S’il a emporté une dizaine d’alpinistes ces dernières années c’est qu’il n’est pas fait pour le commun des mortels pensent certains. Mais c’est peut-être bien le commun des mortels qui a fini par l’emporter lui, au fil du temps. C’est qu’il avait chaud. Plusieurs étés où Fanny ne voit pas le thermomètre descendre en dessous de 0, à plus de 3300 mètres.

Aussi le frère de Fanny, un excellent guide accepte suite à cet effondrement une cliente qui veut faire la Grande Reine malgré le danger. Nous voilà alors au cœur de la montagne durant deux heures, on suit les histoires du massif, d’une ascension périlleuse, des villageois de Rochebrune en prise avec leurs idéaux : les éleveurs contre les écolos, les stations de ski contres les guides. « Mort d’une montagne » est un récit très documenté sur les enjeux économiques et écologiques qui se jouent dans un lieu unique, jamais dans le cliché et très subtil quant aux rapports humains.

Car il ne s’agit pas seulement de parler de la montagne. Dans chaque lieu, on arrive avec nos affects et notre histoire familiale qui a façonné notre personnalité. On décide ensuite de s’en affranchir ou non, d’y puiser des bonnes choses ou de les oublier pour devenir un nouvel être. C’est peut être aussi une sorte de carnaval de personnalités qui nous est donné à voir car à tour de rôles les acteurs et actrices interprètent différents personnages et c’est assez brillant. On se transforme face à l’autre, parfois on perd une partie de nous-même comme cette Grande Reine qui abdique bien avant l’heure. En outre, notre attention est totalement captive des paroles et discussions, on sursaute avec eux grâce à un dispositif sonore qui rejoue les sons de craquements, de tonnerre.

 © Cie Les Non Alignés

Scéniquement parlant le dispositif est simple et très efficace. Chaque meuble ou bouteille est utilisé avec soin, un banc disposé et quelques objets familiers à ceux qui connaissent la randonnée ou l’escalade suffisent à nous plonger dans le refuge. Les changements de décors se font par les acteurs eux-mêmes avec un rien. Une toile translucide projette un décor sombre de crêtes et une animation va donner à certains instants du relief à la dramaturgie qui est déjà exaltante et tient en haleine tout le long du spectacle. L’imagination du spectateur suit son cours avec le récit de l’ascension : une main en l’air et on voit apparaître la paroi à pic. Un regard vers le bas et on aperçoit le millier de mètres de dénivelé.

La pièce est vivante car on sent le travail mené en amont par le projet dans le massif de Belledonne entre Isère et Savoie. En effet, entre 2019 et 2020 la compagnie est en résidence dans ce territoire et collecte la parole des acteurs régionaux de haute montagne. Ils discutent avec des scientifiques, des montagnards de la région, des directeurs de station et se produisent en auberge, refuge ou salle des fêtes locales pour essayer de transmettre au mieux les ressentis. Ce travail de fond est essentiel pour comprendre que ce théâtre n’est pas un étendard impersonnel de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce qui importe c’est de prendre en compte la réalité d’un terrain et de la nature dans ce combat, de comprendre profondément que la hausse des températures implique une part entière de l’humanité qui réside en nous. Il peut paraître comme un lieu commun de l’énoncer ainsi mais un écosystème qui s’effondre marque l’esprit et le cœur car on inscrit des souvenirs dans un endroit. Oui en montagne « on pleure nos glaciers comme des morts ».

Comme une métaphore de l’humanité qui court à la catastrophe, le refuge du Vautour et sa gardienne sondent à la jumelle des humains allant au bout d’eux-mêmes aussi parce qu’ils ne comprennent pas que leurs confrères et sœurs se surpassent d’une manière bien étrange en bas. Plus que des idées politiques ou sociales, on transmet sur scène les émotions que suscitent les changements brutaux liés au climat, subis comme une perte grave par leurs témoins. L’heure est au deuil, viendra le printemps, le dégel puis la neige salvatrice.

Eléonore Kolar

Production Compagnie Les Non Alignés, en partenariat avec l’Harmonie Communale Texte Jérôme Cochet et François Hien Mise en scène Jérôme Cochet Avec Martin Sève, Fabienne Courvoisier, Camille Roy et Stéphane Rotenberg. Création Lumières Nolwenn Delcamp-Risse Création son Caroline Mas Création vidéo Jérémy Oury Création costume Mathilde Giraudeau Scénographie Caroline Frachet Administration Maïssa Boukehil

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