Vu en novembre au TNP Villeurbanne
La prison, lieu de sociabilité riche et terrible
La prison. Lieu de fantasmes, de terreur, de manipulation politique, punition suprême, châtiment ultime, enfer sur Terre, surpopulation, violence, enfermement, dénuement, torture psychologique, isolement, radicalisation, manque d’hygiène, loi du plus fort, délinquance, effets néfastes de groupes…
La prison vue par Goliarda Sapienza va à l’encontre de toute cette imagerie politique liée dans l’inconscient collectif à l’enfermement. Après y avoir passé quelques jours seulement, elle écrit le récit de son expérience à l’intérieur et porte un témoignage fort, politique et positif d’un lieu de liberté féminine au cœur même du lieu de l’absence de liberté. Louise Vignaud et son équipe s’emparent de ce récit pour porter au plateau une parole féministe, colorée, résolument libre et optimiste.
En effet, la prison pour femmes de Rebibbia rassemble dans un microcosme où se recrée une société dans tous ses rouages des centaines de femmes qui sont, leur présence même le prouve, victimes à l’extérieur d’une société qui les marginalise. Sapienza y rencontre la fine fleur des laissées pour compte des années 80 : prostituées, droguées, doucement folles, intellectuelles, lesbiennes, petites délinquantes… Ces femmes réunies par des circonstances étonnantes se créent un lieu de vie, de respiration, enfin isolées et donc peut-être protégées du système patriarcal oppressif.
Et quand des femmes se retrouvent et cohabitent, c’est avant tout une expérience de vie et une expérience étonnante de joie qui en découle. Solidarité, soutien, groupes de réflexion (la fameuse Université de Rebibbia qui donne son nom au texte de Goliarda Sapienza), et simplement partages divers construisent autour de ces femmes bousculées à l’extérieur un refuge de calme et de paix. Cet état de fait débouche sur ce paradoxe dont Goliarda est l’une des premières à parler : la prison est un lieu dont on veut sortir tant qu’on y est enfermés, mais qui manque et auquel on peut vouloir retourner une fois lâchés dans un extérieur qui n’est pas plus protecteur, qui serait même d’autant plus violent.

C’est donc à ce texte ambigu, surprenant et lumineux que s’attaquent Alison Cosson la dramaturge en charge de l’adaptation du texte, Louise Vignaud la metteuse en scène, et tout le reste de l’équipe. Si on peut s’interroger sur le sens de l’engagement politique qui découle de choisir de monter ce texte aujourd’hui dans le contexte actuel où l’on sait que les prisons françaises sont des espaces de non-droit qu’il faut condamner, on peut en tout cas saluer le travail d’adaptation qui permet d’amener un travail fort et sensible au plateau.
En effet, le spectacle propose une ode joyeuse à la féminité, présentant, par la virtuosité de ses quatre actrices et grâce au travail intelligent des costumes de Cindy Lombardi, toute une galerie de personnages, chacune hautes en couleur et très différentes. Isolées dans des cellules individuelles ou partagées, tour à tour masquées ou visibles dans la scénographie en échafaudage que signe Irène Vignaud, les filles de la prison vivent leur vie à l’intérieur avec une résilience et une force de caractère belles à voir. Certaines scènes de la pièce sont magnifiées par le travail vidéo qui permet dans de grands et colorés gros plans arrêtant la narration sur quelques portraits de femmes sublimées par ce médium.
De manière très différente du dernier projet présenté au TNP par la Cie La Résolue, Le Misanthrope, le défi de cette adaptation est relevé d’une manière à la fois touchante et puissante. Et la prison se débarrasse au plateau de ses vieux démons pour apparaître comme un lieu de sociabilité infiniment complexe, riche et terrible à la fois.
Louise Rulh.