Critique de spectacle, Edinburgh International Festival EIF, Festival d'Edinburgh 2017

Flight by the Vox Motus Theatre Company

Dans le cadre du Edinburgh International Festival

Une expérience solitaire aux frontières du théâtre

Il est difficile de qualifier directement le spectacle Flight de la compagnie Vox Motus. Il s’agit plutôt d’une expérience sensorielle et solitaire, dans un dispositif unique, au croisement entre différents genres : les pièces radiophoniques, la BD, le cinéma, les maquettes.

Avant d’apprécier le fond, il faut décrire le processus scénique en tant que tel : chaque spectateur est introduit individuellement dans un réduit étroit, casque sur les oreilles, seul dans son box. Soudain devant lui une lumière s’allume, éclairant une scène de famille reproduite en miniature, maquette archi-détaillée qu’il peut observer de près, tel un Dieu gigantesque dominant la scène. Mais la scène devant lui est placée dans un diorama, une sorte de grand carrousel qui se met à tourner doucement. Au moment où la scène familiale va sortir de son champ de vision, elle s’éteint et une autre maquette, placée autre part, s’allume. Se succèdent ainsi, à un rythme différent selon la narration mais dans la lenteur du diorama, différentes scènes, chacune marquée par une maquette, qui illustrent la réécriture radiophonique du livre Hinterland, racontant l’Odyssée de deux frères de 15 et 8 ans tentant de rejoindre l’Angleterre depuis l’Afghanistan.

flight
© Beth Chalmers / Flight / Vox Motus / Edinburgh International Festival 2017

On imagine sans peine le casse-tête qui permet à cette histoire de s’illustrer dans des scènes de longueurs différentes, dans des maquettes de tailles différentes et avec un rythme différent. La précision du travail, le sens des détails, permettent de se sentir immergé dans ce voyage terrible. Le rapport intime qu’on expérimente avec la pièce, qui ne joue que pour nous (même si quelques secondes après elle s’illumine à nouveau dans le box suivant pour les autres spectateurs) creé un lien émotionnel bien plus fort que celui experimenté traditionnellement dans le théâtre de forme plus classique. Les différentes maquettes sont construites de nombreux points de vue, d’où un travail presque cinématrographique sur le rapport du spectateur à ce qu’il voit : parfois spectateur dominant d’une vue de dessus, parfois enfermé lui-même dans le camion par l’interstice duquel il peut voir s’éloigner les plaines verdoyantes du pays d’origine. Ainsi la forme du spectacle donne une portée profonde au propos défendu.

Le choix de la forme n’est cependant pas la seule force de ce spectacle. Sur le fond, les créateurs ont pris le parti de faire vivre cette histoire par les yeux de Kabir, le plus jeune frère, âgé de 8 ans au début de son voyage. Ainsi, le récit n’est pas objectif, ce qui permet d’être au plus proche de l’expérience traumatisante vécue par un enfant, même si ses ressentis peuvent être déformés. Cela permet aussi de laisser place à des éléments plus poétiques ou métaphoriques que la simple reconstitution du voyage : par exemple la figure des oiseaux est utilisée ici de manière ambivalente : des oiseaux noirs sont utilisés pour styliser tous les compagnons de voyage anonymes des deux frères, sur les routes ou sur les mers. Parfois à peine visibles en arrière-plan, comme un simple clin d’œil, parfois acteurs agissants dans l’épopée des voyageurs, ce symbole rappelle à la fois les oiseaux migrateurs piégés dans les marées noires qui ne peuvent plus voler, et les oiseaux noirs vus en Occident comme porteurs de malheurs et de mauvais augures, rejetés par superstition. En revanche, les oiseaux blancs, mouettes ou goélands, qui auraient pu être des figures plus positives se révèlent être les gardiens de la forteresse européenne, notamment la douane française au passage de Nice depuis l’Italie ou encore la police à Calais démontant la jungle sans pitié. Leurs cris perçants, agressifs et incompréhensibles pour les enfants reflètent la violence de l’incompréhension quand les réfugiés n’ont pas de traducteurs à leurs côtés. La retranscription des rêves du personnage est également un moment fort du spectacle, puisque le spectateur est témoin de manière directe de l’univers onirique et terrifiant reconstitué sous ses yeux.

Le roman, et donc le spectacle, sont fictionnels, mais basés uniquement sur des témoignages réels de migrants mineurs non accompagnés, regroupés notamment à Calais. Le spectacle travaille donc la question de frontière sous tous ses angles, entre le rêve et la réalité, entre la fiction et le réel, entre la petite et la grande histoire, entre les genres artistiques… Pour questionner celles que l’on a dans la tête.

Louise Rulh

Based on the novel Hinterland by Caroline Brothers

Oliver Emanuel Adaptation
Candice Edmunds, Jamie Harrison Directors
Jamie Harrison, Rebecca Hamilton Designers
Simon Wilkinson Lighting designer
Mark Melville Composer and sound designer

Presented in association with Beacon Arts Centre

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