Au Parc des Expositions d’Avignon jusqu’au 23 Juillet
La volonté du collectif dans ce travail serait non pas de nous faire comprendre les ressorts d’un récit qui aurait peine à exister sans les mots, mais bien à nous faire éprouver une histoire, à nous immerger dans une atmosphère assez étrange et décalée qui puisse retenir toute notre attention.
Le Pays de Nod évoque en premier lieu un lieu d’errance, il fait référence au lieu biblique où se retrouve Caïn dans sa fuite, il symbolise le lieu dèja proscrit et qu’il va falloir construire dans l’effort et la souffrance. Le musée, lui aussi est un lieu d’errance, il est un lieu où le spectateur peut se retirer du monde, il tisse une sorte de chair mémorielle avec le passé.
L’installation du FC Bergman reproduit ainsi à l’identique la salle des Rubens en cours de travaux au Musée d’Anvers en pays flamand. Ainsi l’ensemble serait à la fois un chantier en reconstruction mais en même temps il reste les visiteurs qui viennent admirer la seule œuvre restante concentrée dans une scène de la passion du Christ : La crucifixion. Le tableau est reproduit dans ces dimensions exactes. Le collectif s’inspire de l’idée que le vrai musée d’Anvers pendant les travaux de la Salle Rubens ne pouvait pas sortir certaines œuvres, beaucoup trop imposantes pour passer le cadre des arches. Le spectateur est ainsi placé sur un gradin dans une des extrémités de la salle et observe donc les actions et les agissements des comédiens.
Le spectacle nous immerge dans un musée : la scène commence alors que l’on voudrait mesurer le tableau pour le faire sortir de la salle. Le conservateur du musée n’aura dès lors plus qu’un but ultime, faire sortir le tableau, quitte à faire exploser la porte pour l’agrandir. Le personnage du conservateur revêt une dimension comique constante tout en incarnant une certaine candeur. Il s’agit bien d’un personnage ridicule mais qui voudrait protéger l’oeuvre, et lui faire quitter la salle qui tombe en ruine, et humide de surcroît parce qu’il pleut dans ses flancs. L’histoire du musée est retracée en filigrane, le collectif a voulu démontrer que ce lieu avait pu être à l’épreuve de l’histoire. Ainsi à plusieurs reprises, on retrouve le bruit des bombes et la pluie à l’intérieur du musée, de même que l’image des couvertures étendues par terre métaphorise l’espace du musée non plus seulement en lieu de recueillement artistique mais en tant que refuge véritable pendant la seconde guerre mondiale.
La salle du musée tombe véritablement en morceaux, et comme pour signifier ce morcellement un personnage énigmatique vient essaimer au centre de la scène, des matières naturelles qu’il sort de sa poche et qu’il laisse s’écouler, s’effriter, se déposer sur le sol. Qu’il s’agisse de pétales de fleurs, de poussières, de copeaux de bois ou bien même encore de boue, ce personnage métaphorique duquel les éléments glissent et s’évaporent représente sur scène notre finitude et illustre presque mot pour mot la Genèse, à savoir l’idée que de la poussière dont nous sommes nés, nous y retournerons à notre mort. Ce personnage apparaît dès lors comme un ange silencieux à l’allure d’un James Bond, figure modernisée de l’imagerie biblique qui se renouvelle dans la culture-monde.
Les gardiens du musée au nombre de deux, sont aussi caractérisés par cette perte de repère, ils gardent une salle où trône une dernière œuvre, dernier vestige en somme d’une époque disparue et dont le corps présent ne pourra jamais retrouvé la sensation, vestige artistique en somme qui sert de décor aux photographies de touristes chinois représentés de manière assez réaliste en tant qu’extorqueur de la beauté dans leurs appareils photos. Au contraire de ces touristes chinois, on retrouve d’autres personnages profondément marqués par les œuvres, qui finissent par se laisser porter en elle. Les situations partent au départ de déplacements et de situations comiques comparable à des scènes de Charlie Chaplin ou bien même de Mr Bean au musée et parviennent à atteindre une dimension cosmique indescriptible et mystérieuse.

Pourtant, peu à peu c’est bien d’une ekphrasis artistique dont il s’agit. En premier lieu, l’homme détrempé qui se dénude pour faire sécher ses vêtements et qui reste là comme si finalement ce lieu était le lieu du refuge, une femme qui s’évanouit devant la beauté de l’oeuvre et qui faisant un malaise est soutenue par d’autres, ou bien encore un autre personnage énigmatique qui vient se confronter à d’autres et nager dans ce flux et dans ce flou artistique, prennent corps dans cette ekphrasis.
En réalité, le travail des FC Bergman est assez troublant et contrairement au BlitzTheaterGroup auquel on pourrait partiellement les affilier, ils n’utilisent pas les mots comme une matière propice à l’enchantement et au désespoir, ils n’utilisent rien d’autre que leurs corps et le jeu de décalage créé par les situations désabusées qu’il convoque. Ils utilisent le rire en même temps que leurs parcours paraît assez terne et peu engageant, c’est comme s’il nous montrait la décomposition de l’art détruit par l’indifférence. La dramaturgie se construit autour de surgissements d’images en même temps qu’elle s’éternise dans l’immobilité du tableau qui ne peut quitter la salle qu’à la fin, après que le mur eut été explosé à la dynamite par le conservateur fou.
C’est aussi un des premiers travaux qu’il m’est été donné de voir où l’on voit le décor se détériorer fortement au fur et à mesure du spectacle… Cette destruction du décor est assez troublante dans la dramaturgie, il ne s’agit pas seulement d’une déstructuration partielle ou même de réagencement, mais bien d’une destruction, le décor tombe en ruine au fur et à mesure comme pour montrer sa résistance aux épreuves du temps. L’image finale de l’explosion qui vient terminer d’agrandir la porte ajoutées aux autres détériorations vient donner à la scène l’impression d’une scène de guerre ou d’une scène de ruine, d’une scène en tout cas sans limites, qui retrouve le danger comme ligne de fuite artistique. Les comédiens se griment également de couleurs, ce qui fait d’eux des êtres symboliques au demeurant visiteurs de l’espace, mais surtout explorateurs de l’inconscient. L’image des trois comédiens qui courent à travers la salle crée l’impression d’une terrible fatalité, l’idée que l’art est trop plein et qu’un musée n’est plus le lieu mystique où s’incarne l’idéal et l’avant-garde esthétique et politique de la cité, mais bien une attraction comme une autre et sans doute parmi les moins excitantes.
Ce spectacle fait écho à la phrase finale d’Angelica Liddell dans son dernier spectacle : « Rendez-vous à DisneyLand », à ceci près que les FC Bergman restent persuadés que la culture est un lieu de refuge, un sanctuaire à l’abri du monde et de ses tourments, et c’est sans doute cette conviction qui tisse et rhapsode la fracassante beauté de ce pays, où malgré la destruction se préserve l’art, et où surtout malgré la déchéance du lieu, il reste incarné et habité par des désirs. La vie continue d’y grandir, même détruit, même figé, même moisi, le musée représenté en tant que pays de Nod continue de dévoiler son errance hors du temps, car effectivement qu’est-ce que serait l’art sans l’errance et le rêve provoqué par le questionnement contemplatif ?
Le collectif touche à notre expérience intime en même temps qu’il la métaphorise et la place à cet endroit précis dont ils garderont le secret sans jamais pouvoir le dire. Het Land Nod est un spectacle de la mouvance et du mouvement, ouvert sur les possibles comiques et tragiques du drame, il existe par delà l’idée d’une performance ou d’une pièce de théâtre, ou bien même d’une installation d’art, il nous emporte tout simplement…