Critique de spectacle

Vadrouille théâtrale à Bruxelles : sacs plastiques dansants et fiction radiophonique live

Retours sur L’après midi d’un foehn version 1 de Phia Ménard (spectacle jeune public créé en 2010, joué au Théâtre national de Bruxelles du 8 au 11 février 2023) et Beaux jeunes monstres du Collectif Wow! (fiction radiophonique live avec casque jouée au Théâtre Varia du 14 au 18 février 2023). Aller visiter une ville c’est aussi l’occasion d’entrer dans les théâtres qu’elle abrite !

Revoir les débuts de Phia Ménard

Les ventilateurs ne sont pas encore allumés et pourtant, un air de mystère flotte déjà dans cette salle du Théâtre National de Bruxelles où Phia Ménard, vêtue d’un long manteau noir à boutons dorés, nous attend. Nous sommes en rond, ensemble, prêts et prêtes à écouter un conte. J’admets sans hésiter être une adepte absolue des créations de Phia Ménard. J’en ai vu beaucoup et toutes m’ont à chaque fois émue, impressionnée, remuée de l’intérieur. Et pourtant j’avais raté ce spectacle et avec lui, un petit morceau de ce qui a constitué et constitue encore son travail.

Comme dans les autres pièces de recherche sur l’« Injonglabilité Complémentaire des Éléments », ce qui fonde cette performance, c’est la manipulation et la transformation d’un élément a priori incontrôlable. Qu’il s’agisse du vent, comme ici et dans Les os noirs (2017), de la glace dans P.P.P. (2016), ou encore de la vapeur dans Belle d’hier (2015), Phia Ménard cherche à transformer notre regard sur la matière. Ainsi, ce qui saisit d’emblée dans cette première version de L’après-midi d’un foehn, c’est d’abord une forme de légèreté et d’imprévisibilité. Phia Ménard commence par découper et assembler un sac plastique anthropomorphe qui va danser seul, avant d’être rejoint par quelques autres sacs aux couleurs variées et enfin, par un véritable ballet coloré.

Alors que [la marionnette] dansait, j’essayais de danser aussi. Mais les spectateur·ices regardaient seulement la marionnette. Sans le savoir, j’avais créé mon propre ennemi. Je reproduisais le cycle de jalousie de l’être humain. Je détruisais ce que j’avais créé parce que je ne supportais pas de ne pas être regardée. C’est la genèse de L’après-midi d’un foehn Version 1.

Phia Ménard, dans un entretien avec Sylvia Botella, à retrouver sur www.theatrenational.be.

À travers son premier moyen d’expression artistique, le jonglage, elle fait naître ces sacs marionnettiques avant de les laisser danser au gré du vent capricieux. C’est alors qu’elle sort son parapluie et tente d’entrer dans la danse mais bien que capturées, les marionnettes échappent encore et toujours à la pesanteur à laquelle le corps humain reste soumis. Le mouvement se fait alors de plus en plus saccadé, arbitraire et intense. Il faut dire que le foehn, ce vent sec et chaud que l’on rencontre plutôt en montagne, indique souvent l’arrivée d’une tempête et est même associé à la naissance de certaines psychoses chez les êtres dans la mythologie et les croyances populaires.

© Jean-Luc Beaujault

Notre regard captivé par la danse des marionnettes est in fine ramené à la crise de rage de l’artiste qui revient sur le plateau détruire sa propre œuvre et concurrence. En attendant la prochaine pièce de Phia Ménard, Article 13, retournons voir et revoir les œuvres de ses débuts pour tenter de mieux comprendre le long parcours d’une artiste échappant sans cesse aux frontières des arts et des corps : et si nous aussi, avec elle, nous pouvions quitter un peu la terre ferme ?

De la fiction radio à la création scénique

Beaux jeunes monstres, c’est d’abord une fiction radiophonique écrite et réalisée par le collectif Wow! devenue récemment une fiction radiophonique réalisée en direct et sur scène. Le collectif n’en est pas à son coup d’essai puisque le même protocole avait été mené pour la fiction Piletta Louise devenue Piletta ReMix sur scène en 2016. Aux commandes, toujours le même noyau, Florent Barat à l’écriture, accompagné de Sébastien Schmitz, Emilie Praneuf et Michel Bystranowski. Mais cette fois, le collectif s’étoffe de nouvelles personnes et de nouvelles voix.

© Margot Briand

Bien que le but soit toujours de nous dévoiler l’envers du studio de radio tout en proposant un format véritablement théâtral, le dispositif a lui aussi pris une tout autre ampleur depuis Piletta ReMix. Différents espaces de jeu sont clairement définis sur le large plateau et les petites tables et simples micros de la création précédente ont laissé place à de très nombreuses installations sonores : tête binaurale, piano, régie son, micros stéréophoniques et autres.

Cet élargissement offre la possibilité de moments de jeu et de mobilité au plateau beaucoup plus marqués ce qui dynamise le déroulement du spectacle. Ainsi, pendant que la narratrice incarnant le personnage de Willy reste majoritairement devant à cour, les autres protagonistes vont se déplacer, tantôt pour des moments à deux ou seuls, vers les différentes installations, tantôt pour des moments plus choraux, de jeu de prises de parole et de chant lyrique et polyphonique. Car si la musique et les bruitages étaient déjà très présents dans Piletta ReMix, ici, un nouveau tournant dans la recherche du collectif est opéré. Des chanteurs et chanteuses professionnels se sont glissés dans le groupe, apportant d’autres possibilités sonores narratives au spectacle.

Cette nouvelle création a tout pour impressionner, c’est indéniable. Mais en même temps, j’ai eu parfois la sensation de regretter la dimension plus modeste et humaine que pouvait avoir Piletta ReMix qui nous faisait aussi nous sentir plus proches des personnages aussi bien que de la fabrique du spectacle. Ici, nous sommes davantage placé·e·s face à une création d’ampleur où l’on peine parfois à trouver les espaces de trouble et de vide où loger son regard et son écoute.

Si la majorité des exclu·es est privée de parole par des mécanismes économiques, politiques, médiatiques – ou l’alliage des trois, William, le personnage principal de ce récit, adolescent lourdement handicapé, l’est physiquement. Il ne sait pas parler, il ne peut pas parler. Beaux Jeunes Monstres nous fait pourtant entendre sa voix et son point de vue, entre son univers intérieur et la réalité dans laquelle il se démène, ou peut-être la fiction qu’il fait de sa vie, comme nous le faisons toustes, pour survivre.

Florent Barat, auteur.

On sent que le caractère plus sérieux de l’histoire portée par Beaux jeunes monstres a également poussé le collectif à perfectionner ses outils d’écriture et de création. Pour les nouvelles formes pluriartistiques qu’il propose sur scène et les voix pas toujours écoutées qu’il nous permet d’entendre, j’ai encore envie de garder mon casque sur les oreilles pour repartir en immersion sonore avec le collectif Wow!.

Juliette Meulle

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