Raf a réalisé pour l’écho des planches une série de cinq épisodes qui met en valeur les missions du Centre National du costume de scène et qui met en lumière les coulisses de l’exposition présentée en ce moment. Commissaire scientifique de l’exposition, directrice du CNCS, chargée d’inventaire des collections, chercheuse associée au CNCS et régisseuse des œuvres au CNCS traversent, évoquent et questionnent les costumes. Chaque intervenante évoque un costume de façon précise, documentée, au prisme de sa sensibilité et de son expertise. La série donne également à entendre des archives sonores variées et permet de se promener dans la grande histoire du théâtre du XXème siècle à nos jours ainsi que dans le répertoire des pièces de Molière. La réalisation technique a été assurée par Manu Muré.
Pour cette série, Raf a rédigé des chroniques en choisissant pour chaque épisode un ou plusieurs costumes comme un visiteur de l’exposition dont le regard serait ébloui par certains costumes… Retrouvez des morceaux de ces chroniques comme une invitation à l’écoute…
Épisode 1 : avec Véronique Meunier, adjointe au directeur du département des Arts du spectacle à la Bibliothèque nationale de France et commissaire de l’exposition Molière en costumes.
Costume évoqué : Costume d’Argan porté par Michel Bouquet dans Le Malade imaginaire. Mise en scène de Georges Werler, costumes de Pascale Bordet. Théâtre de la Porte Saint Martin, 2008. Coll. Théâtre de la Porte Saint-Martin et coll. Pascale Bordet (bonnet).

Et si toutes ces fleurs que l’on retrouve dans ce bonnet et ce costume d’Argan, parsemées et comme piquées sur le tissu pouvaient avoir plusieurs significations ? La signification la plus évidente, on l’a dit, est de mettre en évidence une marque de raffinement et un rattachement à une certaine mode, à un apparat qui montrerait la richesse du personnage. Une signification autre nous apparaît cependant derrière ce choix d’une floraison parsemée au lieu d’une floraison totale et accumulée comme on en retrouve dans les robes de chambre orientalisantes du XVIIIème siècle : le but n’est plus de montrer la richesse ostentatoire ou le raffinement du personnage et donc d’avoir un costume figurant le rang social, ou encore d’avoir un costume qui montrerait le malade engoncé dans son lit et donc d’un costume qui figurerait le caractère du personnage.
Non, la portée d’un tel costume est plus précaire, plus incertaine : ce peignoir permet de mettre en évidence la façon dont l’art théâtral dépouille tous les raffinements et tous les excès pour découvrir derrière la figure caricaturale, l’homme vrai, et jusqu’à l’acteur dans le cas des pièces de Molière.
© CNCS / Florian Giffard
Épisode 2 : avec Delphine Pinasa, directrice du Centre national du costume de scène et de la scénographie à Moulins.
Costume évoqué dans la chronique de Raf :
Costume de Mariane porté par Dominique Blanchar dans Le Tartuffe. Mise en scène de Louis Jouvet, costumes de Georges Braque, Théâtre de l’Athénée, 1950, Coll. CNCS / Don de la succession Pierre Bergé.

C’est avec le langage très souterrain des rayures que Braque instille au costume une précaire et sombre harmonie. Mariane aime et est aimée, mais elle ne dit rien et ne montre que des émotions d’impuissance : elle ne feint même pas pour pouvoir faire comprendre à son père sa désolation et son désespoir. Cette robe amplifie son silence et montre encore plus qu’on ne lui donne pas la parole, qu’elle est une femme et qu’elle se tait, car ses rayures peuvent aussi évoquer un costume aux accents domestiques et donc rabaisser davantage Mariane au rang social inférieur de femme et de fille devant obéir aux injonctions paternelles. Le costume n’a rien de baroque, ni de précieux et encore moins d’engageant : il retient et derrière ce col démesuré, on a l’impression d’un poids inextricable sur les épaules, qui devenant bouffantes, empêchent la légèreté et la grâce des mouvements et donne une impression de déplacement rigide et une tenue du corps droite comme si aucun mouvement d’épaules ne pouvait trahir la passion et ou la dépossession.
© CNCS / Florian Giffard
Épisode 3 : avec Elsa Bataille-Testu, costumière, doctorante en études théâtrales et chercheuse associée au CNCS.
Costume évoqué dans la chronique de Raf :
Costume de Célimène porté par Madeleine Renaud dans Le Misanthrope. Mise en scène de Jean-Louis Barrault, costumes de Marcel Escoffier, Théâtre Marigny, 1954. Coll. BnF, Arts du spectacle.

Célimène apparaît dans ce costume comme le penchant féminin d’un Don Juan qui annonce qu’on peut renoncer à la passion pour un seul homme et s’enfermer dans son désert. Si son discours n’est pas aussi libertin que celui de Don Juan, son costume porte cette liberté et disons-le ce libertinage : libre expression de son désir, elle a conscience de ses appâts et elle aime plaire, mais elle ne ment pas et dit à chacun ses vérités. Elle n’est pas hypocrite : elle dit tout et cette robe qu’elle porte et ce calme qu’elle affecte par-devers les affronts et les rodomontades masculines qu’elle essuie, dit tout de son caractère enchanteur et généreux. Elle renvoie à chacun ses aigreurs et inspire l’animosité autant que la passion : elle n’est pas passionnée mais elle est droite dans son ardeur.
© CNCS / Florian Giffard
Épisode 4 : avec Manon Mauguin, chargée d’inventaire des collections au CNCS.
Costumes évoqués dans la chronique de Raf :
Costume d’Agnès porté par Agnès Sourdillon dans L’École des femmes. Mise en scène de Didier Bezace, costumes de Cidalia da Costa. Cour d’honneur du palais des Papes, 2001. Coll. CNCS / L’Entêtement Amoureux – Compagnie Didier Bezace
Costume d’Agnès porté par Christiane Desbois dans L’École des Femmes. Mise en scène de Georges Wilson, costumes de Claude Venard. Versailles, Théâtre de Montansier – Théâtre National Populaire, 1958. Coll. Association Jean Vilar / Maison Jean Vilar, Avignon.
Si les deux costumes sont semblables, c’est parce qu’ils dessinent tout deux l’aura du personnage qui grandit. D’une impression de sottise, Agnès s’enveloppe peu à peu d’une grande lucidité et se révèle à elle-même : elle aime et le costume la met à nu. On ne voit plus une jeune fille naïve mais une femme amoureuse. Si on dit que l’amour donne des ailes, l’amour efface peu à peu le souvenir de ce costume trop serré et trop rigide grâce au discours d’Horace qui présente Agnès comme une femme admirable et pleine de tendresse… Quoi de mieux pour souligner le beau naturel que de montrer la retenue et l’absence d’excès que traduisent ici les costumes : les costumes disent tout du personnage féminin d’Agnès ; ce n’est pas une rouée, c’est une femme aux désirs secrets qui parvient à tout cacher, non pas par malice de se jouer d’un vieux barbon, mais par passion, par félicité… pour renaître à elle-même dans le regard d’Horace et non plus subir les chimères d’Arnolphe…
Épisode 5 : avec Fabienne Sabarros-Helly, régisseuse des œuvres au CNCS.
Costume d’Harpagon porté par Jean Vilar dans L’Avare. Mise en scène de Jean Vilar, costumes de Léon Gischia. Paris, Théâtre National Populaire, 1952. Coll. Association Jean Vilar/Maison Jean Vilar, Avignon.
L’éloquence du costume passe par une vraie réflexion sur la pièce et Gischia savait donner à ses costumes des saillies inquiétantes et contrastées qui donnaient à voir par-devers la théâtralité du personnage, son humanité angoissée, déchirée, désirante et ballottée. Dans le costume de l’Avare pour Jean Vilar, c’est cette sorte de pardessus noir qui vient cintrer la combinaison violette au niveau du bas des épaules et des genoux en donnant une impression d’une veste enfilée à la hâte non boutonnée, sauf au niveau du cou, insistant sur l’aspect vif et toujours mouvementé du personnage…
- Écriture et conception de la série : Raphaël Baptiste / Réalisation Manu Muré. Conçue en partenariat avec le Centre National du costume de scène, série de cinq épisodes créée et diffusée du 21 au 26 juillet pendant la 76ème édition du Festival d’Avignon sur 100.1 FM L’écho des planches / Radio Radio Toulouse.