Critique de spectacle, Festival d'Avignon OFF

« Ulysse de Taourirt » – Cie Nomade in France

Retour sur Ulysse de Taourirt, qui se joue au 11. Avignon jusqu’au 29 juillet à 16h25 (relâche le 26).

Vous vous souvenez peut-être de Si loin si proche qui était proposé dans le OFF en 2018. Ulysse de Taourirt se présente comme le deuxième volet de ce premier spectacle. Pour le metteur en scène et directeur artistique de la compagnie, Abdelwaheb Sefsaf, toujours accompagné à la dramaturgie et à la mise en scène par Marion Guerrero, ces deux volets offrent une double perspective sur sa famille : si dans le premier spectacle il explorait davantage la figure de sa mère, à travers la tentative de retour en Algérie de ses parents dans les années 1970, c’est désormais son père, surnommé Ulysse de Taourirt, que l’on retrouve sur scène. La pièce revient sur le mariage de ses parents, l’arrivée de son père en France, ses différents métiers et l’installation progressive de la famille en banlieue lyonnaise.

Crédits photo : E. Zeizig

On ressent l’admiration pour ce père, vu comme un héros moderne, et l’attachement à une famille heureuse, malgré les obstacles et le mariage arrangé qui se trouve au commencement de l’histoire. On découvre également un père ouvrier engagé contre la colonisation française, affirmant sa passion pour la culture et la politique, et la transmettant à ses enfants.

Le temps qui se rejoue sur scène, entre l’installation passée du père en France, et un Abdelwaheb adulte qui conte cette histoire, en passant par l’adolescent malicieux, est accompagné de la projection de courts-métrages sur le mur dépliable faisant office de scénographie. Ces derniers retracent le chemin intime de l’immigration, et la complexité d’une vie entre les campagnes algériennes d’avant la Guerre, et le départ pour la France. Derrière une apparence de décor minimaliste, ce mur devient le reflet de réalités géopolitiques, avant de révéler soudainement le monde coloré d’une épicerie baptisée « Le palais oriental ».

Héritiers d’une culture méditerranéenne patriarcale et populaire, on a pris et on a laissé. On a hérité et on a inventé. On a construit et on a improvisé. Sans esprit de conquête. On a vécu ce qu’on avait à vivre. On n’a pas été des enfants olympiques, nous.

Comme dans Si loin si proche, le théâtre rencontre ici la musique. À de nombreuses reprises, les comédiens-chanteurs-musiciens (Clément Faure, Antony Gatta et Malik Richeux) proposent des chansons et des mélodies variées. Le public est alors parfois convié à participer, sans que cela ne semble forcé : on passe sans transition de la pièce de théâtre au concert. Si cela peut déplaire à un public venu voir une pièce de théâtre à la narration plus traditionnelle, la musique permet de rythmer le récit et s’affirme comme une véritable marque de fabrique de l’écriture et de l’identité artistique d’Abdelwaheb Sefsaf.

Crédits photo : E. Zeizig

Cette fiction documentaire se présente comme le partage d’un parcours intime, sans jamais tomber dans le misérabilisme. Se déploient sous nos yeux les souvenirs des banlieues exiguës qui n’ont pas disparu aujourd’hui, ainsi qu’un questionnement sur cette immigration des années 1950, accompagnée alors, comme chez Homère, de l’impossible rêve du retour. Il s’agit de montrer sur scène que l’héritage d’un tel parcours n’est ni subi ni idéalisé, mais pris en charge artistiquement par le biais d’une enquête personnelle en forme d’hommage.

Juliette Meulle

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