Critique de spectacle, Critiques de Spectacles à Lyon

Poings aux Subsistances

Vu dans le cadre du Festival Un Week-end sur Mars aux Subsistances

La critique du livre sur notre blog

Jeune trio puissant

Une rencontre. Un duo. Un duo qui devient un trio. Un trio créé non pas, comme souvent, par une naissance, une joie, une vie, mais plutôt par une mort, une séparation, un schisme interne. Parce que quand une relation se révèle malsaine, psychologiquement violente et abusive, elle peut créer une fêlure chez la victime de cette relation, une fêlure au plus profond de soi qui laisse naître un être autre, qui vit comme nous, par nous, mais dont on est détaché. Poings manifeste ce déchirement interne par une présence doublée, une femme autre, comme la petite voix dans notre tête qui nous met en garde contre les dangers évidents qu’une relation comme celle qui est en train de s’engager suppose. Petite voix qu’on écoute trop rarement…

Pourtant, l’héroïne de la pièce n’est pas une victime. C’est toute la force de ce spectacle à 6 mains, qui permet de montrer avec beaucoup de nuances et de finesse la mécanique bien huilée d’une relation perverse où on se laisse entraîner dans le malheur et dans le déni qui nous pousse à nous oublier. Mais cette fois la femme qui se laisse glisser dans ce malaise du couple est rattrapée par une autre femme, elle-même, elle-autre, une personne capable de prendre suffisamment de distance pour analyser le cadre obsessionnel et malsain de la relation.

Ce n’est pourtant pas une relation manichéenne, un homme immédiatement violent, un agresseur inconnu, un bourreau tyrannique. Cet homme, il ressemble à n’importe qui, n’importe qui de bien, n’importe qui comme l’homme parfait. Tout va bien, tout est beau, la relation est belle… Mais parfois, juste parfois, par quelques phrases ou quelques regards, on comprend peu à peu que quelque chose cloche. Seulement, cette prise de conscience ne peut exister que de l’extérieur, ne peut venir que du public ou de cet autre être, né du traumatisme et de la violence qui scinde en deux la fille qui perd ses repères, perd qui elle est, et ne veut pas perdre foi en cette relation.

La prise de conscience passe aussi par les sens. La circassienne Justine Berthillot, qui interprète l’une des deux femmes, vit par son corps sa libération et son envol. Seul cela lui permet de se libérer de cette pression, de ce carcan invisible et pourtant omniprésent. Omniprésent et invisible… comme le son, dernière composante du rassemblement des talents des trois jeunes auteur.rice.s de la pièce. Ainsi, le domaine du visible : le corps, mais aussi l’espace qui est matiéré (murs mous, sols en latex qui sont modifiables et qui peuvent laisser voir la transparence) et la gestion des lumières et des couleurs sont des éléments qui appartiennent à la vie, à la joie, à la liberté. Le domaine du son, de l’invisible, de l’indicible, sont au contraire dirigés vers l’autre, l’homme, le dominant de ce couple déséquilibré qui chavire et qui blesse. Ainsi, les actes de grande violence qui sont décrits au moment culminant de cette relation perverse sont manifestés par la privation de la voix : alors qu’un récit nous est fait, la voix qui sort de la bouche de la victime lui est volée, elle en perd le contrôle, le son en est modifié tout comme son être profond à été modifié, trituré, malmené. La violence des mots est manifestée par la violence de la perte de contrôle sur un des éléments les plus importants de notre identité, notre capacité à dire. Quel message fort, dans un monde qui commence à reprendre la parole sur tellement de sujets liés aux violences des femmes…

La mise en scène colle ainsi parfaitement au cœur du texte, à son sens profond, et transmet par les moyens du spectacle un message radical, limpide et politique. Un théâtre de violence, qui sauve.

Louise Rulh.

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