danse, Spectacles de danse à Lyon

À vue de Brigitte Seth et Roser Montllò Guberna

Vu aux Subsistances pour le Festival Week-end sur Mars

Quand la danse prend la parole

C’est dans le cadre du festival Week End sur Mars aux Subsistances de Lyon que les deux chorégraphes Brigitte Seth et Roser Montllò Guberna, travaillant en étroite collaboration depuis plusieurs années, ont présenté leur toute nouvelle création, À vue. Sylvain Dufour, danseur interprète et scénographe les a rejoint pour cette pièce, et tous trois interpréteront un rôle a priori opposé à leur sexe : ce sont deux hommes et une femme que les spectateurs auront sous leurs yeux. A mi-chemin entre le théâtre, la danse et la quasi performance, ils vont interroger la place des êtres dans nos sociétés modernes, citadines, qui sont faites de file d’attente pour obtenir des papiers, d’entretiens d’embauches… La question du genre s’est en outre posée en première instance, car face à ces épreuves quotidiennes, les sexes ne sont évidemment pas égaux. Et plus encore que la question du genre, c’est la question de l’identité qui doucement pointe, crue, à vue…

Aux premières lueurs, le plateau est comme découvert. Des chaises, froides, noires, similaires à celles que l’on trouve en entrant dans l’accueil d’une quelconque administration sont disposées sur le côté de la scène. Sylvain Dufour, grimé sous les traits dirons-nous, clichés, d’une femme – cheveux très blonds, légère robe bleu ciel, talons – est assis sur l’une d’entre-elles. Il attend les jambes croisées, immobile. Des espaces sont délimités au sol par le biais de gros scotch. Au fond, à droite, se trouve une table face à une toile de studio photo. D’emblée, le décor est éloquent : tout est fait pour être vu, il n’y a pas d’espace intime. Tout se passe comme si l’on ne voulait pas laisser place à l’intime, ou alors, comme s’il était sur le point d’être totalement mis à nu. Et en effet, cette sensation ne va pas cesser de croître et de décroître tout au long du spectacle.

© Christophe Raynaud de Lage

Brigitte Seth et Roser Montllò Guberna apparaissent quand à elles sous les traits d’hommes en costumes sobres, faisant métonymiquement référence à ces « personnages » de bureau, hommes de tous les jours, effacés derrière leur cravate bien resserrée… « Vous en croisez beaucoup des morts ? » demandent-elles. On aurait, à bien y réfléchir, envie de répondre « Oui ». On passe par différents moments qui sont comme des mises en situation du quotidien, un quotidien questionné voire – et surtout – montré du doigt : entretien d’embauche qui vire à l’interrogatoire, un patron qui apprend sans vergogne à ses employés qu’il ne faut en aucun cas se sentir concerné par les problèmes de ceux qu’on rencontre… Une attente interminable pour obtenir des papiers virera au coup de gueule, et Brigitte Seth, dans une tirade sans souffle qui relève du slam déclamera son désenchantement quant au monde dans lequel nous vivons. La médecine, les banquiers, la direction, les administrations, toutes ces instances qui nous dirigent et finissent par nous étouffer. Notons ici que les deux chorégraphes laissent une place très important au texte – ici de l’écrivain lyonnais Jean Luc A. d’Asciano – dans leurs créations, la littérature fait intégralement partie de leur travail. Plus encore qu’exprimée oralement, on accordera à Brigitte Seth et Roser Montllò Guberna que celle-ci est incarnée avec une très grande sincérité.

En outre, par moments, il semble vain de tenter de dire ce que l’on a sur le cœur, et c’est à cet instant que le geste, la danse prend la parole. Elle arrive comme un agacement, comme un ras-le-bol, comme une folie. Les corps nous disent « J’en ai assez », ou, plus étrange encore « J’en ai assez d’être dans ce corps ». C’est ainsi que la question identitaire apparaît. Car, bien évidemment, ce changement de sexe que se sont assignés les interprètes pose ouvertement une réflexion autour du genre. Ils ne vont cesser de se transformer, par un jeu de perruques, d’attitudes, de vêtements tout au long de la pièce. Un duo relativement bien mené entre les deux chorégraphes mélangera les corps par un jeu de torsions et de têtes, et par ce trompe l’œil en mouvement on aura la sensation de voir la tête de l’une sur le corps de l’autre. Le sexe assigné – socialement ? biologiquement ? – pose problème, les frontières entre le masculin et le féminin sont questionnées : qu’arrive-t-il finalement quand tout le monde est assujettit au même régime de soumission ? Y a t il tant de différences ?

Ainsi que nous l’avons dit plus haut, c’est une réflexion sur l’identité, l’individu qui transparaît sur celle du genre. Mais une réflexion de quel type ? Tout semble se tenir, or, je reste pour ma part sur une impression assez floue concernant les revendications ou les enjeux de cette pièce. Inscrite dans une ligne qui entoure le débat public et les instances artistiques depuis maintenant quelques années  – les réflexions sur le genre, la société vs l’individu, le féminin vs le masculin… – l’oeuvre est intéressante, mais manque quelque peu de singularité, d’authenticité. Ces questions ont été traitées à foison, et nous restons à présent dans un déjà-vu ou plutôt un déjà-dit. Mais peut-être est-ce ici le nœud de cette oeuvre, c’est-à-dire non pas tant de revendiquer, mais simplement de dire, de donner à voir ce qui peut se ressentir, encore et toujours pour souligner le fait que les choses changent encore trop lentement ?

 Eléonore Kolar

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