Critique de spectacle, Critiques de Spectacles à Lyon, Sens Interdits 2017

Hospitalités dans une mise en scène de Massimo Furlan (Compagnie Numero23Prod) avec des habitants de la Bastide-Clairence.

Accueilli au Théâtre Nouvelle Génération pour la cinquième édition du Festival Sens Interdits

Un théâtre qui fait humanité

Le spectacle part d’un projet de concertation avec les habitants d’un petit village basque nommé La Bastide-Clairence. En effet, Massimo Furlan aurait proposé une solution efficace pour lutter contre l’augmentation des prix des loyers dans ce petit village labellisé, et aurait proposé au cours d’une réunion publique en 2014 d’accueillir des migrants pour faire baisser les prix. Il aurait alors avec ses complices observé les réactions des habitants. En 2015, le village accueille effectivement une famille de syriens exilés malgré les réticences des habitants en créant une association pour les aider à s’insérer. Aussi, Hospitalités vient en quelque sorte faire parler à travers le prisme théâtral, quelques habitants du village qui sont convoqués sur scène pour raconter leur expérience de la vie et qui ont chacun une part dans son fonctionnement global et local (maire, artisan, chef d’entreprise, esthéticienne, professeur de danse, etc)

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HOSPITALITÉS © Pierre Nydegger / Laure Cellier

Le plus intéressant dans le spectacle, c’est que l’événement en tant que tel, l’accueil des migrants ne constitue que l’horizon du spectacle et le traverse de part en part comme un mouvement imperceptible et prégnant. Les neuf comédiens qui jouent leurs propres rôles ne sont pas simplement là en tant que témoins. En effet, on perçoit que les concepteurs du projet ont écrit une sorte d’histoire à partir des itinéraires de vie de ses différentes personnes. L’ensemble s’écrit tout au long du spectacle à travers l’évocation de souvenirs, de regards lucides sur le monde, qui ont pour conséquence de nous plonger irréfutablement dans nos vies, dans nos propres foyers, matérialisés sur scène par un feu projeté sur un écran dès l’entrée du spectateur dans la salle. Il reste que le témoignage de chaque personnage n’est pas simplement une histoire vécue, la scène théâtrale la mue et la disperse en un grand récit qui rejoint nos mythes les plus enfouis. En réalité, ce spectacle nous montre comment chaque personne affronte la vie et la rend heureuse jusqu’à atteindre une tranquille circonspection. Les histoires inscrivent naturellement le spectacle dans la description d’un idéal de vie simple aux accents rousseauistes, baigné dans la lueur maternante de la campagne et dans la filiation touchante à son territoire, ici le pays basque, évoqué à travers ses chants et ses traditionnelles courses landaises.

La manière de raconter procède d’une très belle fragmentation théâtrale qui va brouiller les frontières temporelles et humaines pour évoquer des parcours de vie et des lignes de fuite. Le spectacle évoque des lignes de fuite et la vie du village retracée dès ses origines est comme une métaphore de notre humanité. En effet, chaque personne évoque à la fois les difficultés, les dangers auxquels elle a du faire face pour se libérer de la vie, pour vivre libéré de la peur et des préjugés sans en être définitivement écarté. Chaque personne se trace un parcours de vie à partir de son histoire familiale et chacun relativise ses promesses et ses échecs. Les comédiens-personnes font même intervenir le public pendant le spectacle et convoquent des références historiques, sociologiques et mythiques pour appuyer leur conception de la vie : accueillir l’autre, le migrant, l’étranger comme une ligne de fuite, avec son histoire et ses difficultés sans chercher à le faire à son image, se libérer des préjugés pour aimer avec tendresse non pas la différence en tant que telle, mais le bonheur de partager dans le plus simple appareil de l’hospitalité, sa vie et ses ardeurs secrètes. Le spectacle nous fait prendre conscience combien cette notion a pu devenir vague dans notre société, et ce spectacle lui redonne tout son éclat et toute sa nécessaire lucidité.

Dès lors, chacun apporte son intimité et sa manière de faire face à la violence de l’existence dans ce qu’elle a de plus banal, nous montrant que la misère de ces pauvres gens exilés et étreints de souffrances souvent insondables appartient plus à l’humanité car leur fuite est une véritable traversée comme chacun de nous devrait en avoir l’expérience concrète pour en comprendre les terribles stigmates. Aussi, le projet est en réalité très loin d’un projet documentaire ou d’une expérience sociale comme il se présente pourtant, c’est un véritable spectacle de théâtre d’une sensibilité extrême, écrit avec les vies, les doutes, les souffrances et les espérances de chaque individu qui compose ce village, comme les villages de nos campagnes, qui bien que souvent gagnés par la désillusion n’en restent pas moins des formidables lieux de vie où chaque geste du quotidien, chaque rencontre et chaque échange deviennent une formidable excursion vers l’autre. Cela permet d’apprendre à vivre ensemble et à décider ensemble, ce qui paraît évidemment impossible dans nos espaces urbains réfractaires à l’harmonie des échanges. Pour appuyer sans cesse cette dimension, le spectacle est ponctué de chansons des années 80 qui sont comme l’expression d’un sentiment plein d’une nostalgique et lucide espérance qui renforce par les émotions qu’elle contient, le sentiment d’appartenance à l’humanité.

Au demeurant, il reste que Hospitalités se construit comme une belle épopée qui en même temps qu’elle nous plonge au cœur des contraintes qui font nos parcours de vie, nous exhorte à nous souvenir, et surtout à nous rappeler que si nos vies furent agréables, nous le devons au fait d’avoir été accueilli et cueilli avec nos joies et nos souffrances par toutes sortes de personnes, et que grandissant dans cette bienveillante harmonie qui enfouissait parfois ses désirs secrets et cachait ses peines, nous étions comme des voyageurs qui à travers l’autre découvraient un monde toujours nouveau et toujours plus beau. Le spectacle devient dès lors une leçon de vie sans morale exiguë et la dramaturgie habille cette simplicité d’un manteau théâtral sans autre artifice qu’une représentation de la vie elle-même. La distance théâtrale entre le public et la scène devient la distance même au sens propre que chacun prend dans sa vie quotidienne pour juger de ses actions et de ses perspectives : elle devient même l’incarnation d’un bon-sens populaire qui fait défaut aux choix politiques de nos sociétés. Hospitalités nous raconte notre vie avec l’espoir que nos vies puissent conduire sans doute à offrir des perspectives meilleures et à faire grandir la tendresse dans une société qui pousse à la vindicte, tout ceux qui par peur ou par chagrin, vivent repliés sur eux-mêmes dans leurs certitudes. Le théâtre devient dès lors une arme d’espérance contre ce repli et contre la dévastation programmée de « l’humanité ». J’entends par ce terme le sentiment d’appartenance à une terre peuplées d’horreurs et de souffrances que chacun doit combattre à sa façon, et accueillir des migrants comme faire du théâtre offrent la possibilité d’exalter ce sentiment d’appartenance, de montrer qu’il est réel et qu’il existe encore, fort heureusement !

Raf

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