Pour l’édition 2017 du Festival d’Edinburgh, Le FRINGE
Un regard sur notre société de médias et de manipulation des masses
L’édition 2017 du Fringe est marquée par un très grand nombre de spectacles concernant les fake news, le rôle des nouveaux médias et les risques liés à leur utilisation, particulièrement par la jeunesse (tout comme le off avignonais présentait cette année beaucoup de spectacles sur les réfugiés ou sur la crise des migrants), indice révélateur de l’état d’esprit d’une société. Celui–ci est l’un d’entre eux.
Cependant, ce spectacle coréen propose un regard sur notre société de médias et de manipulation des masses en évitant les clichés et en travaillant sur la rencontre entre différentes cultures, utilisant et détournant les codes de théâtre de bien d’autres civilisations. Ainsi, le mythe grec de Médée, se vengeant de Jason, qui la quitte, en tuant leurs enfants, est repris dans une série de tableaux évoquant parfois le No japonais, parfois l’esthétique graphique des jeux vidéos, parfois encore la tradition yogi, le tout dans un contexte de société occidentale du 21e siècle ultra médiatisé et voyeuriste quant à la vie des célébrités ; plaçant ce spectacle à l’intersection entre différentes grandes cultures venues de partout dans le monde.

La teneur générale de la pièce repose sur une maîtrise absolue du corps dans tous ses états, le jeu étant complètement codifié et d’une précision extrême, héritage du théâtre asiatique. La théâtralité est pleinement assumée, tant dans les transitions que dans la réalisation d’effets spéciaux, pourtant la recherche de l’illusion est aussi poussée à son extrême dans les corps : l’utilisation de masques, la transformation des acteurs en marionnettes, l’usage codifié des voix, produisent des effets divers.
Ce travail sur le corps s’inscrit aussi dans une optique de métathéâtre et de théâtre de l’illusion : la dramaturgie des seynètes repose sur la réinvention de la conventionnelle séparation entre le public et l’espace scénique. Le rapport au public est bouleversé : non seulement la présence d’un public est assumée mais aussi chaque spectateur devient acteur, juge des personnages qui se démènent dans la violence sur scène. De fait la frontière entre fiction et réalité en est floutée, tout comme c’est la tendance dans les médias modernes de laisser croire à une réalité alors qu’il s’agit d’une construction. L’espace du public devient un autre espace, dont les personnages sont conscients et qu’ils peuvent utiliser, puisque le cadre de référence est devié mais pas non plus effacé : le 4ème mur n’est pas détruit, mais il devient un élément de jeu, dont on peut ouvrir la porte pour laisser passer certains sons ou pour s’échapper quand l’espace scénique devient trop agressif.
Car la violence initiale du mythe imprègne cette mise en scène, chacun (y compris le public) devenant le bourreau et la victime de quelqu’un d’autre, d’où la subtile critique de ce schéma de pensée non pas directement visé dans un discours moralisateur mais plutôt exposé au grand jour pour traquer les vices de notre mode de fonctionnement, montrant comment notre société pousse au bain de sang par des procédés vicieux pas si éloignés de ceux qui régissait les jeux de Rome.
Louise Rulh