Critique de spectacle, Cultures d'Outre-Mer, Festival d'Avignon OFF 2017

La Mulâtresse Solitude d’après le roman d’André Schwarz-Bart adapté et mis en scène par Fanny Carenco

Au théâtre Espace Roseau Teinturiers à 10h30 par la Compagnie de la Grande Horloge

Une solitude collective

La metteuse en scène a fait une très belle adaptation du roman mais on sent au cours du spectacle une force théâtrale et philosophique qui investit le corps des acteurs. Il y a un véritable travail qui s’immisce dans la parole des personnages pour travailler les différents espaces fictionnels, âcres lambeaux d’une réalité et d’une histoire coloniale encore trouble et indistincte pour une majorité de gens dans la société. Il y a un espace du rêve dans l’espoir de la liberté qui se construit puisque le texte évoque justement les différents itinéraires de figures qui ont vécu l’abolition de l’esclavage à la révolution française, puis son rétablissement par Napoléon Bonaparte quelques années plus tard.

Le personnage central est nommée Solitude, interprétée dans ses ardeurs et traversées par le récit qu’en font les deux comédiennes. Solitude est une voix, un récit et cette dimension narrative est peu à peu débordée parfois jusqu’à l’extase par les comédiennes qui investissent tout d’un coup le personnage sans qu’on puisse le prévoir, ni le prévenir. Un homme aussi traverse la scène et interprète différents rôles, sans qu’on puisse définir ses fonctions précises. Avec son adaptation hautement théâtrale, Fanni Carenco a réussi à partager les voix au point de les ériger en symboles.

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La mise en scène est composée d’éléments très fins, d’un travail intéressant sur les lumières, d’un travail de projections vidéos et de l’utilisation d’une bande sonore. Tous ces artifices renforcent cette parturition hautement symbolique du récit. C’est un spectacle qui nous emporte par sa gravité et nous ravit de sa candeur. La dureté du décor composé de morceaux de palettes ou encore d’un pneu de tracteur détonne d’avec le charme incandescent des personnages qui font le récit des horreurs avec beaucoup de distance, en faisant presque chatoyer l’histoire pour en accentuer les reflets douloureux. C’est là que le spectacle rejoint le sillon d’un travail artistique engagé autour de la mémoire coloniale en même temps qu’il nous permet de rejoindre le temps de la représentation, ce récit qui nous abîme, parce qu’il est l’histoire d’un orgueil responsable de déportations infâmes et d’une situation de domination violente, qui pose encore aujourd’hui problème, et qui rend plus que nécessaire la multiplication de ces spectacles, bientôt menacée par la suppression de l’agence d’outre-mer qui les accompagne en partie en Avignon.

La pièce se déroule en vrai itinéraire qui nous fait voyager dans la mémoire et au seuils de nos oublis les plus lâches. Les comédiens sont triomphants de douceurs et nous emportent dans leurs vibrations contradictoires, dans l’hystérie ou la tristesse de leurs sacrifices.

Raphaël Baptiste

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