danse, Moi de la Danse 2017 aux Subsistances

Short Stories de Carolyn Carlson

Jouées aux Subsistances le Lundi 30 Janvier dans le cadre du Festival Le Moi de la Danse

Le site des Subsistances de Lyon a eu la chance d’accueillir lundi 30 janvier une chorégraphe hors du commun qui parcourt les scènes du monde depuis presque 50 ans, transportant avec elle tout un univers d’un onirisme et d’une beauté rares. Carolyn Carlson, accompagnée de deux de ses danseuses, Chinatsu Kosakatani et Sara Orselli, ont interprété trois solos qui, tous trois épris des traits de la danse de l’immense chorégraphe, révèlent pourtant la singularité et la profonde personnalité de chacune des danseuses. Ces trois brefs instants, d’une telle densité poétique, ont pu faire entrevoir au spectateur une ouverture vers l’éternité, espace dans lequel Carolyn Carlson continuera encore de danser après son règne…

© Laurent Philippe10fevrier

IN THE NIGHT

Durée : 7 minutes Chorégraphie : Carolyn Carlson Interprète : Chinatsu Kosakatani Musique : Laurie Anderson – My right eye Lumière : Guillaume Bonneau Création sonore : Nicolas de Zorzi

Chinatsu Kosakatani est debout, immensément droite aux côtés d’une stèle, dans une grande robe orange qui touche le sol. La musique de Laurie Anderson retentit et la danseuse et la stèle se mettent à avancer lentement de concert. Elles se déplacent comme deux statues qui prendraient doucement vie, appelées par une sorte de rite ancestral à participer à une incantation. Mais l’une d’elle, happée par quelque chose qui lui est interne va se retirer de cette marche et se mettre à danser. C’est la danseuse. Un fluide l’anime, léger comme le vent, pesant seulement par le corps qui le fait vivre. Dans le décors sombre, ce grand tissu d’un orange doux s’anime comme des mots, ses longs cheveux noirs et ses bras illuminent le plateau…

In the night treading of our inner darkness a thousand mirrors of illumination

An open door into the mysteries of reflection,

Dans la nuit mille miroirs lumineux foulent nos ténèbres intérieures

Une porte ouverte sur les mystères de la réflexion.

Poème de Carolyn Carslon

Carolyn Carslon préfère le terme « poésie visuelle » à celui de chorégraphie. Et il se trouve que rien ne qualifie mieux les traits de sa gestuelle que le terme « poésie ». Les mains et les bras de la danseuse dessinent de vastes arabesques, donnant à l’air une épaisseur de papier, mais un papier aussi léger que le souffle de l’air lui-même. On reconnaît l’influence de la chorégraphe, car tout le haut du corps et les bras sont les parties les plus sollicitées. Les bras se déploient et poussent sans s’arrêter, les jambes sont fortement ancrées dans le sol bien que la danseuse paraisse tout en même temps se déplacer sur l’eau. En quelques minutes cette poétique des éléments nous amène un autre monde, comme une bourrasque de vent où mille et un poèmes écrits sur de léger papiers de riz, virevolteraient dans tous les sens.

IMMERSION

Durée : 28 minutes Chorégraphe et Interprète : Carolyn Carlson Musique : Nicolas de Zorzi Lumière : Guillaume Bonneau

Le poème continue dans cette seconde partie, dans une esthétique assez « japonisante ». Le rideau s’ouvre solennellement sur la chorégraphe, grande et entièrement vêtue de noir. C’est comme si elle venait d’apparaître sous le pinceau d’un calligraphe. On sent depuis le haut des gradins l’atmosphère de respect et de fascination qu’elle fait naître autour d’elle. Sont disposées sur scène des tables basses rectangulaires de style japonais d’un rouge profond. Sur l’une d’entre elles sont posés des baguettes et un bol, et sur l’autre un vase rempli d’eau à côté de ce qui semble être un tas de poudre ou de pigments.

Carolyn Carlson évolue dans ce décor, où un jeu de lumières fait du sol une grande étendue d’eau miroitante. Tous ses déplacements et ses mouvements rappellent une eau limpide, une rivière qui suit inlassablement son cours. Ses pieds glissent sur le sol et sont à peine visibles sous sa longue robe, ses bras et ses mains dessinent des gestes d’une fluidité remarquable.

J’avais eu l’occasion il y quelques années, dans le cadre du festival Instances de l’Espace des Arts de Chalon-sur-Saône, de voir la chorégraphe sur scène interprétant son solo Dialogue with Rothko ; et ce qu’il y a de plus frappant chez elle ce sont bien ses mains et tout ce qu’elles transportent de sens, de poésie et de beauté avec elles. Ses mains sont infinies, ses mains sont chargées d’une énergie que je n’ai encore vue sur aucun.e autre danseur.seuse. Une grande sérénité, qui vient du plus profond de sa personne, traverse ses membres pour s’accomplir dans sa danse, danse qui s’apparente à ce qu’elle nomme « poésie visuelle ». L’eau se mélange à la chair sous nos yeux, et prend vie dans un geste puissant, où la main se transfigure pour devenir vecteur d’une nouvelle écriture entre la danse et la poésie, entre la beauté et la force.

MANDALA

Durée : 22 minutes Chorégraphie : Carolyn Carlson Interprète : Sara Orselli Musique : Michel Gordon – Weather parts 3 & 4 Costume : Chrystel Zingiro Lumière : Freddy Bonneau

Le triptyque se termine sur le dernier solo, Mandala, créé spécialement pour Sara Orselli par Carolyn Carlson en juin 2010. La danseuse va se mouvoir au sein d’un immense mandala projeté sur le sol par des éclairages. Commençant en son sein, elle s’y déplace en des gestes vifs, décidés et très liés. Le mandala tourne et la danseuse est prise dans cette ronde comme dans une transe méditative ; plus le rythme devient soutenu et plus sa danse devient rapide. Elle et la figure sont dans une osmose totale durant les 22 minutes du solo, on la sent se fondre dans ce tourbillon. À certains moments, elle est comme happée par quelque chose de plus fort qu’elle, mais à d’autres c’est elle qui crée la force qui entoure le cercle.

Cette danse est évidemment chargée de symboles et fait directement référence à une tradition bouddhique de méditation. En effet mandala est un terme provenant du sanskrit et est utilisé dans certaines formes de méditation bouddhique, tant dans le bouddhisme tibétain que dans l’hindouisme ou même le jaïnisme. En se concentrant et en se plongeant dans cette figure très complexe, le méditant accède à une sphère spirituelle très élevée. On retrouve quelque chose d’assez similaire dans le bouddhisme zen japonais, chinois ou coréen qui est l’ensō, un cercle symbolisant la vacuité mais également l’illumination, la force, l’univers. Toutes ces significations sont évoquées par la danse de Sara Orselli, qui passe par différentes phases plus ou moins exaltées ; tantôt elle incarne la vitalité, tantôt la divinité, tantôt l’air, tantôt la terre. Le spectateur perçoit que cette danse polymorphe lui correspond pleinement et qu’elle serait tout autre si elle était exécutée par une autre danseuse. Ses mouvements façonnent le mandala tout comme le mandala façonne ses mouvements.

© Frédéric Iovinomandala

D’une grande force et d’une grande beauté, cette soirée a convié le spectateur à partager une expérience quasi mystique, zen et pleine d’une énergie nouvelle. Carolyn Carlson, étoile filante dans le ciel de la danse contemporaine, a su transmettre à ses danseurs.seuses tout son art. Pétries de sagesse et d’étonnement, ses créations inspirent ceux qui les contemplent et nous ravissent le cœur.

Eléonore Kolar

 

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