Critique de spectacle

Ça ira (1) Fin de Louis, une création de Joël Pommerat par la compagnie Louis Brouillard

Le théâtre des Célestins en coproduction avec le TNP

Vers une esthétique de l’histoire

La compagnie travaille les enjeux politiques à l’oeuvre au moment des états-généraux au printemps 1789. La première partie s’étend de la décision de mettre en œuvre ces états-généraux pour répondre à une situation de crise économique dans le royaume, à l’avènement de l’assemblée nationale constituée par les députés du Tiers-Etat, rejointe bientôt par la noblesse et le clergé. Plusieurs événements fondateurs de notre démocratie y sont ainsi évoqués comme la prise de la bastille qui fait tomber le symbole de l’arbitraire du roi, l’abolition des privilèges des classes de la noblesse et du clergé dans la nuit du 4 août 1789, et enfin l’évocation de la complaisance du roi à ces changements. La pièce se termine vraisemblablement en fin d’année 1789, alors que le roi trame dèja en secret une contre-offensive en appelant les régents étrangers à lui porter secours.

Au delà de cette trame historique, l’intérêt de ce travail est qu’il n’apporte aucun point de vue historiographique sur la Révolution française et sur les frêles prémices de ce qu’on appelle aujourd’hui notre démocratie. La constitution théâtrale de la fable se fait ainsi en une succession de tableaux, qui ne sont pas des descriptions ou des évocations de la contingence historique, mais bien une immersion pérenne au cœur même des discussions philosophiques et politiques qui précèdent l’avènement de ce nouveau monde et la constitution d’un nouveau régime de droits pour les citoyens.

Au delà de l’évocation de ce collectif, ou plutôt de ces collectifs fragmentés et en questionnement autour de leurs valeurs, l’évocation de la sphère intime du roi initie le déchaînement de la tragédie, une tragédie personnelle où un homme jusque là tout puissant voit son pouvoir réduit à un simple fétiche d’ordre et de légitime incarnation d’une morale puissante et séculaire. Tragédie aussi parce que la catastrophe est marquée par l’inaction du personnage et sa passivité, l’induction du politique est ici l’expression avant tout d’un désespoir presque cynique, que l’on perçoit dans les paroles de la reine Marie-Antoinette, dont on sait que les révolutionnaires avaient fait le symbole du mépris de la noblesse. Le cœur du pouvoir est ainsi évoqué dans sa décomposition, et l’avènement de ce nouveau pouvoir fondé sur un principe d’égalité juridique entre les citoyens permet de créer un débat démocratique jusque là muselé par le pouvoir en place.

Le spectacle évoque donc avec force la naissance et les germes d’un nouvel espoir, et évoque en grande part la classe aisée des députés du Tiers-état qui formant une assemblée, décident de donner une constitution à la France. Cette bourgeoisie maîtrise parfaitement l’art oratoire, et le dramaturge à travers le travail sur la matière des mots revient aux fondamentaux du discours et de la dialectique cicéronienne ; c’est dans cette brèche que s’entremêlent les discours et les allocutions au sein de l’assemblée, c’est aussi dans cette brèche que l’on perçoit à quel point le déchaînement des conflits est généralisé et que les points de désaccords sont nombreux et en tout point inextricables, en tout cas pour le spectateur pantelant, qui assiste aux assemblées et en perçoit les soubresauts, les huées et les invectives fielleuses. Les différentes mouvances de l’appétence révolutionnaire y sont ainsi déchaînées et ce pour redéfinir une organisation du territoire et de l’économie. Les comédiens évoluent ainsi dans l’intimité collective de cette assemblée et incarnent chacun un membre de cette assemblée.

Les comités de quartiers en marge de cette assemblée nationale y sont dépeints et sont marqués par des préoccupations plus matérielles et des questions de subsistances dont l’irruption au cœur de l’assemblée va créer une véritable explosion. Plutôt que de participer à la résolution imminente de la crise, les députés bourgeois s’adonnent à la création des bases d’une démocratie libérale, libérée de la taxation royale et d’une répartition plus juste des monopoles entre les classes les plus aisés de la population. C’est la raison pour laquelle cette assemblée prévaut tout au long de la pièce, et qu’elle innerve toutes les interrogations d’un pouvoir impuissant et d’une noblesse désarmée qui se complaît dans une congestion lyrique et indéfectible d’une aura tutélaire du roi.

L’évocation en filigrane des mœurs de la société entre les différentes strates du pouvoir naissant créent dès lors de véritables scènes d’hilarité, où le rire n’est pas tant un moyen d’attaquer l’adversaire que d’en démontrer et d’en pointer l’inquiétante absurdité. La matière même de l’histoire permet de fonder ce drame contemporain qui se déroule au contraire de la tragédie classique sur un mouvement de régénération des possibles et non d’épuisement jusqu’à l’aporie et la mort. La machine du drame politique continue de mettre en mouvement la destinée humaine, car c’est bien de cela qu’il est question puisqu’on propose une nouvelle définition de l’individu. Le refus de la violence et l’indignation face aux émeutes et aux scènes de vendetta urbaines pour la plupart des mouvances révolutionnaires « humanistes » montrent bien que la scène politique est un espace de discussion et non d’hubris et de mimésis.

C’est peut-être cela qui paraît le plus frappant dans ce travail, c’est la levée du huis-clos dans les coulisses du pouvoir, l’espace du politique est ventilé à la scène du monde tandis que l’effacement des individus voulus par le dramaturge en fait des points de chutes stratégiques, dispersés en une kyrielle de conflits et d’oppositions, évoluant entre la démonstration hystérique et placide de leur idéaux à la tribune de l’assemblée et le conflit intérieur de gens qui se retrouvent dans cette tourmente, emportés dans ces tribulations et qui d’un geste impérieux ou interloqué refuse ou accepte inopinément de s’immiscer dans cette part de définition du pouvoir. La dispersion de tous ces « moi »  rassemblés en différents collectifs qui se piquent de posséder et d’incarner la solution d’un renouveau, et l’intrication de l’itinéraire de la vie des personnages à celle de l’histoire de la société, marquent définitivement les limites d’un tel rassemblement des « collectifs », et l’état d’incertitude qui règne quant au déroulement des événements et à la constitution de l’instant présent.
C’est la raison pour laquelle ce spectacle n’est ni un théâtre-documentaire, ni un laboratoire d’idée, ni même un quelconque drame qui serait fasciné par la révolution française comme ont pu l’être les tenants des romantismes en Europe.

C’est une pièce du questionnement et de la mise en perspective des idées. L’emportement des idées et la puissance ambiguïté des débats et des discussions fait des comédiens de puissantes présences charnelles, spectateur tout comme nous d’une déliquescence génératrice et porteuse de changement. Une grande force anime le spectateur, force qui naît de la virtualité du trouble, car dans cet ébranlement et ce combat de la parole contre elle-même, s’éveille en chacun de nous, un pôle d’attraction incontrôlable, une jouissance intérieure qui est celle de la réflexion menée à son plus haut degré d’intensité. Comme l’écrit Claude Régy dans l’État d’incertitude : « Rien ne vient obstruer l’espace qu’ouvrent les questions, qui, ainsi, libres, peuvent se renouveler à l’infini ». Cette idée explique le fait que l’on retrouve dans ce drame une criante réalité qui évoque en nous des blessures que notre société connaît au quotidien et dont l’écriture du spectacle évoque la non-solution, et l’impossibilité d’y répondre définitivement.

L’explosion théâtrale suspend le temps du spectacle ; l’écriture de l’histoire en exhibe les blessures ouvertes, les luttes irrésolues, elle maintient le lien avec le réel par l’encadrement et le déchaînements des joutes oratoires. Ainsi que des personnages comme le roi, seul personnage nommé de son vrai nom dans la pièce, ne se prononce qu’en faveur du consensus et devienne presque quasiment silencieux et complaisant à l’égard des révolutionnaires, montre et intensifie toute la future force de son retournement qui prévaudra sans doute dans la seconde partie du spectacle que l’on attend évidemment avec impatience.

Cet arcane théâtrale entre raisonnement et émotion, transgressée sans cesse par un souffle épique intransigeant au sentiment du politique et à l’exaltation de la nation et du « peuple », forment une précarité qui est celle de l’humain confronté à ses propres limites et dont le théâtre exprime le conflit moral.

La mise en scène de ce spetacle est constituée des éléments nécessaires à une réunion, et à la discussion entre des groupes de personnes, elle se décompose en différents tableaux selon le lieu de son épanchement, indiqué soit par un une sorte de panneau indicateur qui permet de repérer la teneur du lieu, soit par la disposition des lieux et l’organisation d’une tribune. L’espace privé du roi est vite ébranlé, et son retour aux Tuileries, se fait sous la surveillance d’une garde personnelle dont on voit les personnages littéralement proche de la famille royale, une sorte de tutelle protectrice en somme qui éclate l’intimité du roi.

Enfin, la grandeur des comédiens anime et fait toute la puissance de ce travail. Ils opèrent au cours de la pièce des changements de personnages et des modulations, avec une telle dextérité qu’en réalité les métamorphoses se font sans ambages et de simples éléments comme des perruques montrent tous leurs pouvoirs de travestissements. Leurs évolutions dans les différentes strates de la fable, par de simples changements de costumes permettent de mettre en perspective les différents positionnements idéologiques, mais d’en voir simplement la trace et non pas la totale incarnation. Le fait que les comédiens soient aussi modulables donne une véritable sensation de passage, l’idée que de fait le théâtre permet justement cette libération des corps et que ce travail ne pourrait se résumer en l’expression ou la mise en avant d’idéologies, mais trouve ses points d’ancrages dans les seuils même de la société, dans toutes ses extrémités. De ces extrémités se reconnaissent les seuils de notre société, et c’est peut-être cette douloureuse complaisance que les comédiens jouent sur la scène, avec tous les sarcasmes de l’impuissance…

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