Monroe suivi de Tahoe de Frédéric Vossier, aux Solitaires Intempestifs.
Les pièces ainsi que le présente la quatrième de couverture formerait une sorte de diptyque ; davantage qu’un diptyque qui ferait référence à une suite significative ou en tout cas à des analogies dans les images et les symboles représentés, je dirais plutôt que ces pièces forment des paraboles de notre modernité qui signe en réalité une partie non négligeable de notre déchéance, à savoir l’abandon instinctif (car il est aussi naturel de perdre que de retrouver) des valeurs humaines élémentaires et l’impossibilité d’un échange de paroles, limité par la promiscuité de la chair qui ne souffre pas les mots mais les transpirent et en cela les achèvent. Aucune parole ne peut être réconfortante, ni même rassurante, dans les tensions subversives des personnages.
Ces deux paraboles convoient des icônes que sont Marilyn Monroe et Elvis Presley, l’oeuvre théâtrale subvertit ainsi l’ordre de la création pour représenter l’icône en dehors du faste de sa célébrité, dans son intimité s’il l’on veut ou dans son dernier souffle, le seul en réalité qui soit véritablement humain.
Monroe :
Le personnage de Joe subit au cours de la pièce une sorte de déchéance morale, celle de ne pas pouvoir étreindre l’amour ou plutôt l’image de l’amour qui se mute dès lors en une poupée gonflable, en tout cas pour la matière… La pièce se construit ainsi dans ce clair-obscur où la brutalité et la gaillardise malévole du personnage de Joe grisent l’atmosphère de la pièce, et fait que le stéréotype de l’actrice blonde à la Monroe, qui cherche un peu à se déconstruire, se trouve pleinement incarné dans le mal-être de Joe qui ne voit que le caractère sexuel du stéréotype sans voir la femme ; à tel point qu’elle n’a plus d’importance et que pris dans la transe de son ardeur, elle devient pour lui un être purement imaginaire. Le personnage principal dont on ne saurait avec exactitude définir le revêtement est l’objet d’une sorte de surveillance. On s’enquiert en effet par téléphone de ses moindres faits et gestes. Elle crée et fait naître des fantasmes d’actrice blonde par rapport à son physique, mais le personnage lui même semble vivre une descente aux enfers ou en tout cas une grande souffrance. Paradoxalement, la femme-personnage ainsi nommée et donc déviée de toute caractérisation substantielle, remet en cause sa propre image de « beauté » et entreprend de dénoncer l’enfermement fielleux de son être.
Cette fable est mystérieuse, mais c’est justement cette énigme qui en fait sa substance et qui fait peu à peu gonfler la catastrophe finale dans la lumière de l’incertain. L’alternance et le jeu entre des personnages téléphoniques, téléphonés, des voix, matières inertes sans chairs et qu’on ne peut toucher donnent un élan mélancolique à l’ensemble à travers par exemple la difficulté de l’étreinte qui montre la grandeur de leur incontinence (mot qui englobe à lui seul toutes les faiblesses de l’homme et sa plus grande, l’impossibilité du dire, du faire.)
La pièce constitue presque un miroir grossissant, plutôt burlesque d’un chavirement perpétuel semblable à cet affaissement de l’homme que Francis Bacon représente dans ses tableaux et dont les mots ne sauraient fixer avec exactitude la teneur. La pièce forme ainsi une sorte de thriller psychologique, où les voix se piègent les unes les autres, se vident et s’essoufflent, où l’ardeur ne signifie plus qu’un vague tremblement qui précède l’imminence de la mort, où l’assouvissement est un asservissement à son propre délire dans le démaclage de cette matière brute : le désir.

Tahoe :
La trame de cette pièce est en revanche plus simple et peut être moins énigmatique. Elle se compose de trois personnages que l’on repère facilement dans l’exégèse de l’oeuvre. La scène se déroule dans une sorte de villa, mais dans l’espace confiné et presque étouffant d’une chambre. La mort rôde presque comme une étoile dans la maison de la grâce, elle marque la rencontre presque impossible et improbable entre la passion et la compassion. Les deux personnages féminins sont en effet marqués par une probité redoutable, d’autant qu’on ne sait pas véritablement les liens qui les unissent. Quant au personnage de Freddy, il est empreint d’une feinte candeur, il se perd dans sa propre innocence illacérée contre l’empreinte du monde extérieur. La musique et le chant deviennent pour lui une sorte d’appel à devenir, à se porter au devant de lui même. La pièce joue ainsi sur le paraître et l’être propre de chaque personnage avec la possibilité de plusieurs niveaux de lectures. Elle constitue un échange classique quoique plein d’une duplicité qui semble être une des marques du théâtre de cet auteur. La duplicité se gorge d’une forme de comique lubrique et d’une forme de lyrisme exacerbé pour l’exaltation des bienfaits de la nature.
Ce « diptyque » est une œuvre à la fois séduisante et terrible, terrible parce qu’elle est pleine de mystères et d’incertitudes. Les deux pièces sont pleines de ses heurs chancelant qui nous effraient parce qu’on ne peut les saisir que partiellement. Elles dévoilent avec beauté le cadavre de nos illusions sur la vie vraie et la vie rêvée, elles exhalent avec pudeur, l’obsession de la solitude, essentielle pour être et devenir quelque chose qui puisse ressembler à soi-même.