Critique de spectacle

« Le sang des Promesses », une Tétralogie de Wajdi Mouawad

 « Quelque chose » qui pourrait ressembler à une odyssée entreprise par Wilfrid dans Littoral, poursuivie par Jeanne dans Incendies et que Loup mène à son terme dans Forêts. « Quelque chose » sans identité mais qui tourne cependant, je crois autour de la question de la promesse : promesse tenue, promesse non tenue. Promesse énoncée, promesse renoncée, trahie, tenue et puis oubliée et de nouveau tenue, abandonnée, rejetée, reniée, moquée puis pleurée. La promesse et sa nécessité. Comme une erreur ou encore comme un bonheur, comme une damnation ou comme une victoire. Promesse comme une guerre menée contre le sens qui nous dépèce, contre le vide qui nous noie. Comme amitié dans le ciel. » Extrait de la préface de Forêts

C’est là pour Wajdi Mouawad le principal fil qui lie les trois premiers volets du « sang des promesses », le dernier Ciels étant un peu à part. Mais la promesse n’est pas le seul élément commun de ces œuvres dont l’ensemble est pour lui « sans identité » ; la guerre qu’il s’agisse de celle du Liban, de la Première Guerre Mondiale ou encore d’une guerre sans nom ; l’horreur dans l’inceste ou le carnage et l’amour lient une fois encore ces quatre pièces. Elles s’érigent ainsi tel une sorte de testament de l’humanité dans le sens où elles nous lèguent tout ce que cette humanité peut nous apporter dans ce qu’elle contient de plus beau mais aussi de plus insoutenable. Cette apothéose du bien et du mal, de l’amour et de la haine nous fait alors frémir, mais nous fascine aussi pour cette même raison.

Pour parvenir à cette apothéose l’œuvre en général, surtout dans les trois premiers volets, plonge au cœur de l’homme qui cherche ses origines et en découvre par là même toute la noirceur. Une quête pure qui tient le plus souvent d’une promesse, conduit donc aux plus noirs abîmes. L’abîme est d’ailleurs ce qui lie Ciels aux trois premiers tomes, la différence tient seulement à l’endroit où l’on trouve l’abîme, c’est-à-dire dans le terrorisme. Le terrorisme qui encore une fois révèle l’impureté de l’âme humaine.

Le premier volet de la tétralogie Littoral nous plonge au cœur du cheminement difficile de l’homme au travers d’un monde ravagé, caractéristique propre au « sang des promesses ». Dans cette première pièce Wilfrid cherche à enterrer son père qui jusque alors lui était inconnu, pour cela il retourne au pays natal de celui-ci, mais l’enterrement s’avère beaucoup plus difficile que prévu en raison de l’état du pays dont les cimetières débordent en raison du nombre de mort dû à la guerre. C’est alors de longues péripéties qui commencent, celle de Wilfrid portant partout le cadavre de son père, celle aussi de ce père même qui mort continue pourtant à parler, celles des amis de Wilfrid, une bande de jeunes idéalistes, seule survivance poétique d’un monde tombé dans la cruauté, mais c’est aussi le cheminement de la conscience de Wilfrid dans son évolution de la jeunesse à l’âge adulte, conscience symbolisée par le Chevalier, sorte de protecteur imaginaire du jeune homme.

A travers cette première pièce l’auteur nous introduit dans l’univers des trois premiers volets de la tétralogie, un univers clos, étouffant, où l’horreur présente par la barbarie de la guerre se mêle à la fascination dans une quête de ses origines et de la conscience humaine.

Le même schéma littéraire est donc repris dans les deux volets suivants. Cependant le deuxième, Incendies, est différent. Il s’agit sans doute d’une des pièces les plus captivantes, par la fascination qu’elle exerce sur nous. En effet ici encore les lecteurs suivent la quête d’une origine, deux jumeaux Jeanne et Simon cherchent, guidés par le testament de leur mère Nawal, leur frère et leur père. La pièce trouve ses principaux attraits dans deux éléments, d’une part le dénouement saisissant que bien entendu je ne dévoilerai pas et d’autre part car c’est la pièce qui rend le plus compte des ravages de la guerre du Liban, qui rend plus difficile le voyages des personnages, mais paradoxalement c’est aussi la seule des pièces où l’on rencontre l’amour pur qui une fois encore symbolise la survivance poétique.

Le troisième volet, Forêt, fut mon favori. Sa promiscuité est bien plus intense que dans les autres pièces. Ainsi il nous plonge au cœur de la forêt des Ardennes, point de départ de la généalogie dont apparemment Loup, une jeune québécoise descend. Loup remonte alors le fil des générations de sa famille, ce qui l’amène en France dans cette forêt. Au cours de l’histoire le lecteur s’immisce dans cette famille qui choisit de créer une utopie coupée du monde dans cette forêt. Mais très vite le rêve où vivait paisiblement animaux et hommes se transforme en scènes écœurantes, entre adultère, inceste et meurtre, le vice n’a plus de frein et se justifie par la nécessité de conserver cette utopie.

Contrairement aux autres pièces l’horreur ne se situe pas dans ce qui normalement la porte légitimement, comme la guerre, mais elle se place dans l’utopie qui au départ voulait renverser les valeurs du monde. Le saisissement est alors complet et l’auteur cherche peut-être à nous montrer par là que l’utopie n’est plus possible, les vices de la société s’introduisant partout.

La quatrième pièce elle, se démarque vivement des trois autres, la guerre n’a ici pas de nom, la société non plus. Le lecteur sait seulement qu’une menace terroriste plane, il suit alors l’histoire d’une cellule chargée de la contrer. Au sein de cette cellule chaque personnage détient une personnalité propre et se bat à fois contre la menace mais aussi il semble contre la perte de soi-même au centre d’une société qui nous abâtardie. C’est ici que la menace terroriste devient intéressante, peut-être au fond ne s’agit-il pas d’une menace mais plutôt d’un réseau à l’échelle mondiale qui cherche à sauver l’homme en détruisant la société qui l’étouffe.

Le « sang des promesses » s’impose donc comme l’œuvre théâtrale majeure du XXI ème siècle.

Charlotte Auloy

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