Critique de spectacle, Festival d'Avignon OFF

« Koulounisation » – Salim Djaferi

Ordonner et détruire. Retour sur Koulounisation qui se joue au Théâtre des Doms jusqu’au 28 juillet 2022 à 12h (relâche le 24).

Koulounisation c’est l’histoire d’un mot passé d’une langue à une autre, superposée à celle d’un pays qui débarquait sur d’autres rives et faisait siennes des terres jusque-là étrangères. C’est l’histoire d’un terme qui ne sonne pas complètement français et qui garde sur lui les marques des uniformes militaires et de la violence. Dans son spectacle, Salim Djaferi prend l’angle du langage pour éclairer les différentes manières de nommer la réalité de la colonisation de l’Algérie en arabe : mettre en place, ordonner, construire, détruire, remplacer, ou encore « se faire disparaître ». Tout cela pour parler de la période durant laquelle « ils étaient là ».

La forme qui nous est donnée à voir est issue d’une enquête auprès de différentes personnes, entre l’Algérie, la France et la Belgique. En 2018, alors qu’il se trouve dans une librairie à Alger, Salime Djaferi découvre que de ce coté de la Méditerranée, on ne parle pas de « Guerre d’Algérie » mais de « Révolution algérienne ». Cette prise de conscience des variations dans les dénominations le conduit alors à explorer les ramifications terminologiques qui s’étendent à partir du mot « colonisation ».

Crédits photo : Thomas Jean Henri

Au premier regard, et dans une première partie de spectacle, scène et comédien-orateur sont ordonnés, précis, presque didactiques. En guise de scénographie (Justine Bougerol et Silvio Palomo), un fil est tendu entre les projecteurs, des plaques de polystyrène, des éponges, une bouteille et un bidon d’eau sont disposés au plateau. Le comédien construit progressivement le lieu de sa communication aux allures savantes. Il établit des balises chronologiques à partir des témoignages de sa propre famille, montrant ainsi que la colonisation du territoire va de pair avec des changements dans la dénomination des lieux et dans l’état civil.

Mais Salim Djaferi ne s’arrête pas à cette netteté de surface. Le spectacle s’emballe bientôt et prend une autre tournure lorsqu’un grain inattendu vient se loger dans sa mécanique bien huilée. Vient alors le moment de parler de la réalité, de ne pas s’en tenir aux simples évolutions linguistiques. Vient le moment d’évoquer la « Guerre », ou « Révolution » et les personnes qui l’ont menée : un crâne s’écrase contre des éponges imbibées de rouge, des plaques de polystyrène s’effondrent et sont brisées. On aurait souhaité que le chaos qui s’empare du spectacle aille encore plus loin, que Salim Djaferi tourne définitivement le dos à l’ordre apparent, mais la fin, qui nous ramène dans le temps présent, témoigne de l’intelligence dans l’évolution dramaturgique et scénographique du spectacle.

Accompagné dans la création du regard extérieur d’Adeline Rosenstein, que l’on connaît pour son travail complexe sur le théâtre documentaire (Décris-ravage et Laboratoire poison), le comédien nous livre les fruits de son enquête avec une grande clarté, à la fois visuelle et verbale, démontrant une fois de plus que les mots et leurs évolutions sont les armes du pouvoir. C’est indéniablement un spectacle à ne pas rater, à Avignon, ou lors de sa tournée prochaine dans de nombreuses villes.

Koulounisation est notamment programmé au Théâtre des Célestins de Lyon dans le cadre du Festival Sens interdits, du 26 au 30 octobre 2022.

Juliette Meulle

Laisser un commentaire