Du 8 au 15 juillet à 15h00 à la Fabrica
Une orgie de pensées sublimes et drôles…
Olivier Py a choisi d’adapter pour la scène son roman les Parisiens paru chez Actes-Sud en août 2016. Le spectacle dure environ quatre heures, quatre heures d’une farce et d’un festin de lyrisme, si bien traduit en théâtre qu’on ne perçoit pas que la pièce serait l’adaptation d’un roman, surtout si on ne connaît pas l’œuvre. Olivier Py renoue avec sa langue portée par une poésie lyrique, elle-même parfois caricature de lyrisme dans ses formulations ampoulées, qui créent la substance d’une langue singulière pleine d’une inertie théâtrale grandiloquente. La parole poétique est diffuse dans l’ensemble du spectacle, elle est présente chez les personnages qui figurent l’espérance et la fougue quand d’autres incarnent la médiocrité et la facétie. L’ensemble est beau, d’une beauté qui est sans cesse rehaussée par l’interprétation des comédiens qui oscille entre des traits comiques, des déclamations inquiètes ou exaltées, des échanges plein de pudeurs ou au contraire sans aucune retenue. L’ensemble n’a de cesse de réinterroger les fondements métaphysiques de l’art sur le ton de la plaisanterie tout en conservant sans cesse une certaine gravité qui est celle de la politique, qui nous montre un monde où les valeurs s’écroulent jusque dans l’institution culturelle que le personnage d’Aurélien veut traverser de son corps et de son âme pour en posséder les désirs secrets.
L’ensemble malgré la longueur du spectacle est d’une très belle facture et nous raconte une histoire en présentant différents itinéraires de personnages qui se rejoignent tous dans cette société parisienne fantasmée et criante. Le personnage central d’Aurélien n’échappe pas à un pédantisme insupportable qui au lieu de le rendre infâme au yeux du spectateur, le fait être autant un naïf candide qu’un démon insatiable. Olivier Py a cependant écrit un personnage autre, Lucas qui est le plus intéressant de toute la pièce et qui semble véritablement se mettre hors de mal en quelque sorte en ne succombant pas à la tentation d’être parisien. En effet, le parisien est précisément celui qui veut tout, alors que Lucas est celui qui comme le dirait Rilke, perd sans limites et en cela il est le peut-être le plus homme, plus proche de la noirceur qui nous prend parfois que de la candeur affable des autres personnages. En réalité, l’itinéraire du personnage de Lucas (interprété par Joseph Fourez) est peut-être le seul de toute la pièce qui ne soit pas caricatural. Il incarne presque une traversée du monde mystique, une recherche de son identité, et les scènes d’échanges entre son père interprété par Philippe Girard et lui sont tous simplement transpercées d’un vacillement qui leur confèrent une portée sublime et tressaillante. Lucas est l’écrivain qui déchire son manuscrit pour le jeter aux toilettes…

Le plus drôle dans le texte, c’est l’ironie sans cesse acculée sur scène de l’auteur sur son propre travail à travers des piques qui sont autant de critiques auxquelles il pourraient faire face réellement. Si Aurélien est un hétéronyme d’Olivier Py en quelque sorte, l’auteur porte un regard assez caustique sur le parcours du jeune Adrien, qui en réalité par ses provocations et ses manigances n’atteint jamais à l’agapé ou à la métaphysique, mais à l’argent et à la reconnaissance. L’ensemble dans sa profusion est une véritable orgie de pensées. De fait, entre la vingtaine de personnages, chaque figure trouve son accomplissement qu’il s’agisse de scènes de pouvoir avec un ministre de la culture et des personnes influentes et ridicules ou encore de question de passation entre directeur d’opéra, de scènes de revendications du droit des prostituées, de scènes de représentations théâtrales où Mireille Herbstmeyer incarne une vielle tragédienne pleine de désillusion pour le théâtre d’aujourd’hui et qui pousse encore son cri irrévérencieux, de scènes d’intimités où les corps nus se repaissent… Au demeurant, il y a un grotesque lucide dans la représentation du sexe qui montre une sexualité exacerbée mais sublime encore, car elle est le reflet d’une recherche d’identité, la preuve de ce que en jouissant les personnages sont inondés de vie.
Pourtant, et c’est assez fort dans ce travail, Olivier Py ne travaille pas sur la décadence, mais bien sur le comique et chacun des personnages qu’il écrit n’est pas décadent même si ses agissements pourraient l’être pour des intégristes catholiques représentés avec humour au cours d’une scène. Rien ne saurait être décadent, car les personnages ne sont pas en carence de philosophie, ils sont la représentation théâtrale d’un manque essentiel, qu’il s’agisse de la recherche de Dieu, de l’engagement politique ultime, d’une recherche artistique, d’une recherche et d’une demande d’amour, les personnages ne sont pas décadents parce que le monde est encore plus cynique qu’eux. Leur seule espérance c’est d’être pleinement en ce monde, d’où la machine parisienne décrite comme un monstre dans toute la tradition romanesque du XIXème et qui est poursuivie par l’auteur.
Les décors conçus par Pierre André-Weitz sont immuables en quelque sorte, puisqu’ils figurent des bâtiments haussmanniens à travers deux blocs qui servent d’aires de jeu et d’une tenture en fond de scène devant une forme géométrique en forme de toile figurée par des néons. On a l’impression que rien ne pourrait détruire ses bâtiments qui incarnent la puissance en même temps qu’une criante démesure. Mais un autre décor apparaît toujours à travers des tentures qui sont des représentations picturales de scène de la passion ou des filtres qui changent les couleurs de la scène. Un piano à l’avant de la scène et quelques accents d’accordéon accompagnent certaines logorrhées et teintent l’ensemble d’un lyrisme forcené et authentique. Ce texte raconte beaucoup de choses, des choses qui nous parlent peut-être davantage quand on est jeune que lorsqu’on est vieux, car ce que traite Olivier Py avec soin et éclat, c’est bien plus qu’une simple fougue de la jeunesse jusqu’à la folie, c’est ce qui anime tout jeune homme qui croit que la littérature et l’art peuvent sauver le monde et qui voulant tout chambouler dans un grand combat pour reprendre le poème de Michaux devient un opéra fabuleux rimbaldien où le désordre de l’esprit serait sacré et irréversible.
Il y a dans cette mise en scène d’Olivier Py, une dynamique bien plus que grande que dans Orlando ou l’impatience qui vient bientôt irradier les possibles et créer une grande fresque, qui en même temps qu’elle est volubile, instille une histoire de la souffrance et de la douleur dans ce grand damier qu’est le plateau de théâtre et qui toujours à chaque représentation nous apprend à désirer la beauté et l’infini. C’est là le projet d’Olivier Py qui depuis 2014 que nous fréquentons le festival d’Avignon nous pousse à chaque fois et jusque dans la programmation du festival à nous réinterroger constamment sur les formes théâtrales et littéraires. Aussi, Les Parisiens reste un très beau spectacle et dont la tristesse parfois virulente nous ravit, puisque tel que le disent les lettres accrochés en haut du mur du fond de la scène, une étoile brille de nuit et une étoile ne dit rien, et sans l’aide des étoiles, que nous reste-il ? La poésie et ce sans aucune prescription !
Raphaël Baptiste