Critique de spectacle

Les Ours d’après L’Ours, Ivanov et l’Homme des bois d’Anton Tchekhov dans une mise en scène de Julie Guichard par la Compagnie le Grand Nulle Part

Dans le cadre des Scènes d’automne à L’ENSATT

La troupe a mis en scène et dévoilé ces différentes comédies de Tchekhov avec une fertile légèreté et un travail sur le jeu des acteurs qui révélait avec endolorissement, l’immobilité du désir amoureux et son rapport sauvage au changement propice à une tromperie presciente.

La metteuse en scène et sa collaboratrice artistique semblent en effet avoir saisi  toute cette fragilité des êtres, ce vide qui jaillit en eux et qui s’oppose à une force de vie dont ils se méfient. C’est le cas des personnages en proie aux doutes et qui sont dans une retenue perpétuelle et à perpétuité de leurs instincts. Face à eux se profilent des personnages « bourrus » selon le terme de la note de mise en scène qui n’hésitent pas à rutiler et à faire éclater leur lubricité comme un plaisir jouissif quoique interdit et nauséabond pour la réputation.

La mise en scène procède d’une inscription en tableaux, qui créent à chaque fois des tensions, d’autant que l’espace scénique est fragmenté par un jeu qui s’épanche dans tous les envers du théâtre, comme pour en dévoiler les coutures et le feint saisissement. C’est sans doute cet élément qui me paraît le plus incroyable dans ce travail, c’est qu’il démonte les rouages du théâtre, et non pas simplement parce que les décors et les costumes sont changés à vue par les comédiens eux-mêmes, mais parce que l’ensemble suit une logique d’enchaînement. Cette logique est pleine d’assurance et déploie une grande théâtralité, mais il y manque l’empreinte de la vie, le déchainement ou la prostration des passions.

Si le spectacle se déroule d’une manière implacable avec une énergie et une dynamique que l’on perçoit dans le jeu des comédiens et dans les images scéniques qui sont créées, l’ensemble frôle quelque chose d’achevé, comme si il n’y avait plus rien à accomplir, ni à chercher. En reprenant des classiques tels que ces petites comédies de Tchekhov, il faut chercher à en épreindre l’angoisse frémissante qui ronge les êtres qui sont incapables de se contrôler et qui fuient leurs propres désirs. La réflexion dramaturgique est bien là, mais elle reste pour trop dramaturgique, elle ne fait rien surgir d’autre que du théâtre. La jeune troupe, plein d’une maîtrise et d’un potentiel plus que potentiel de jeu et de souffle, augure d’un travail puissant, mais il me semble que le choix de monter ces trois petits morceaux de Tchekhov ne leur a pas permis d’être pleinement dans « l’art », celui qui corrompt la candeur, qui viole l’acharnement véniel, qui exsude un orgasme de feu pour enflammer des braises éteintes.

Néanmoins, la troupe dévoile de grands talents notamment dans le jeu des comédiens qui respire une grande vitalité à laquelle il manque pourtant le grand mystère de la création. On ne peut pas saisir l’amour et ses tourments à travers ses petites comédies de Tchekhov, il faudrait pour cela faire sortir ce qui est figé, perdre le contrôle, pousser l’écriture dans ses retranchements, et c’est là que l’ironie de l’auteur deviendrait cruauté et mordrait littéralement le spectateur qui rirait de ses propres fantasmes. L’espace de quelques instants, les comédiens tenaient cette gamme insidieuse sans qu’elle ne continue plus avant d’étrangler les contradictions des personnages. Il s’agit encore trop d’un spectacle d’école, la metteuse en scène et les comédiens doivent désormais outrepasser leurs limites, dépasser le cadre dramaturgique et scénique qui a pu leur être donné et créer véritablement avec comme perspective la tentative impossible de fixer un vertige pour reprendre l’expression de Rimbaud dans l’Alchimie du Verbe.

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