Jusqu’au 14 juin au théâtre de La Colline
Le Bruit et la Fureur
Fumigènes, sang, explosions : le théâtre de Vincent Macaigne est celui du bruit et de la fureur. De la déflagration, entre destruction et déconstruction. Dans Voilà ce que jamais je ne te dirai , il propose une expérience immersive, noire et fulgurante, qui repousse les limites de la représentation théâtrale. Dès le début, le spectateur est invité à revêtir une combinaison de survie blanche et à se munir d’une lampe frontale. Tout commence dans une petite salle, où est projeté un film avec un performeur finlandais, Ulrich von Sidow, qui dialogue avec une caricature de journaliste. La scène tourne au sketch, avec des répliques improbables sur la question « l’art peut-il sauver le monde ? ».
En toute honnêteté, gêné par la combinaison, coincé dans cette salle obscure, on a du mal à comprendre ce qui se passe et où on a mis les pieds. Va-t-on simplement rentrer sur scène en jouant la danse des canards, comme suggéré dans le film ? Petit moment de rire gêné, tandis que certains s’amusent avec leur lampe. Survient alors la première déflagration, alors que s’interrompt brutalement le film.
« Je suis mort ici », écrit un homme à moitié nu, avec une mixture de terre, de faux sang et de sueur, dont son corps est maculé. Il va se suicider, annonce-t-il –à côté d’un CRS qui reste de marbre- avant de lire une lettre. Plus un cri de désespoir, une parole d’énergie magnifiquement incarnée par Hedi Zada, qui montre paradoxalement qu’il est vivant. Car le théâtre de Vincent Macaigne est aussi celui de « l’état d’urgence », pour briser les chaines sclérosantes, dans la vie et dans le théâtre, et prouver que l’on existe.
« Vous êtes les derniers survivants. Suivez-moi ». C’est par cette formule lapidaire que le spectateur est invité à sortir de zone de confort, un ghetto dans lequel on l’a trop longtemps enfermé, et où il a fini par se complaire. Toujours en combinaison, lampe frontale allumée, il quitte la salle étroite et pénètre dans le grand théâtre, s’incruste dans la pièce Je suis un pays qui est jouée depuis plus de deux heures. Sous le regard intrigué des autres spectateurs, sagement assis, il débarque sur scène, où le chaos règne dans cet espace auparavant pur. Un véritable champ de bataille, semblable à un monde d’illusions avortées – peut-être symbolisé par les bocaux de fœtus, placés à proximité d’animaux empaillés et de livres poussiéreux.

On regarde, on s’interroge, avant de s’installer. Là-haut, de faux corps calcinés nous observent. Assis en face du public de « Je suis un pays », les faisceaux de lumière des lampes frontales sont semblables à des signaux de détresse, d’un appel désespéré à répondre à nos questions (pour cette raison, il faudrait assister aux deux représentations pour livrer une critique exhaustive et apprécier pleinement la performance). L’expérience est pour le moins déstabilisante voire stressante, mais jouissive tant ce dispositif bi-frontal est complexe et audacieux, et ne peut relever que du génie de Vincent Macaigne.
Le metteur en scène s’amuse avec l’idée de la représentation théâtrale pour mieux bouleverser nos représentations, souligner le tragique de notre société. Entre les fumigènes et les jets de projectiles – donnant l’impression que le ciel s’effondre-, les cris et les pleurs, on assiste à une apocalypse en direct. Macaigne, prophète des temps à venir ? C’est fort possible, par sa capacité à percevoir le bouleversement de notre monde. « C’est la fin du monde ? », demande Kent dans la pièce « Le Roi Lear » de Shakespeare, ou « une image de la fin du monde ? », comme lui répond Edgard ? Comme Shakespeare, Macaigne place la catastrophe au cœur de sa performance. Alors oui, il y a cette débauche d’énergie, cette démesure dans son théâtre en état d’urgence, mais le résultat est bluffant. Une expérience unique qui bouleverse le spectateur, à qui on propose d’ailleurs à la fin une bière dans une ambiance de boîte de nuit, où le collectif prime. Une manière de réfléchir ensemble à un futur à inventer, sur les ruines de la destruction ? Ou de simplement retrouver le « sens de la fête » ?
David Pauget