Critique de spectacle

Menuet, composé par Daan Janssens et mis en scène par Fabrice Murgia

Vu au Théâtre National Wallonie-Bruxelles

Après « Ghost Road » et « Children of Nowhere », Fabrice Murgia est de retour pour ce nouveau théâtre musical, intimiste et tragique. Menuet est un opéra de Daan Janssens, l’un des compositeurs de LOD. Il s’attaque à l’œuvre éponyme de l’auteur flamand Louis Paul Boon. Retour sur ce spectacle captivant, représenté au Théâtre Royal de Bruxelles du 14 février au 17 février 2018.

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© Kurt van Der Elst

Trois comédiens et chanteurs d’opéra jouent un Menuet pour le moins singulier. Il y a tout d’abord le mari, un peu fou, qui se retrouve tous les jours dans des caves frigorifiques d’une usine à devoir surveiller la température. Afin d’échapper à ce quotidien glaçant, il collecte et trie des coupures de presse de faits divers violents une fois rentré chez lui. Sa femme est hyperactive et s’affaire toute la journée à fabriquer des vêtements pour enfants et à réaliser des tâches ménagères. « Ne jamais remettre au lendemain ce que l’on peut faire le jour même » est sa philosophie de vie, transmise par un père exigeant. Enfin, il y a cette jeune bonne, belle et effrontée, que le mari désire ardemment. Elle l’a bien compris et joue constamment avec son envie, en devenant la lolita de ce huis-clos. Son rêve est d’avoir enfin ses règles et une poitrine. Cette jeune femme en devenir s’ennuie à l’école mais pas dans cette maison où sa distraction préférée consiste à observer ce couple qu’elle méprise secrètement.

Huis-clos avec trois êtres singuliers

Tandis que la danse baroque du menuet à trois temps est « gracieuse et noble », ce Menuet est pesant, tout en étant fortement tragique. On retrouve ce trois temps dans la construction de cet opéra théâtral qui se déroule en trois scènes : chacune reprend la même histoire mais d’un point de vue différent. D’abord celui du mari, puis celui de la jeune servante et enfin celui de l’épouse. Leur point commun ? Des désirs refoulés, une frustration maladive et enfin la solitude, une thématique qui poursuit Fabrice Murgia dans ses créations. Cette solitude s’intensifie au fur et à mesure que ces personnages découvrent qu’il n’y a pas d’échappatoire à ce psychodrame.

Ce récit pluriel, qui n’est pas sans nous rappeler Kurosawa et son œuvre Rashomon, est mis en scène de manière remarquable. Les battants d’un mur de persiennes laissent entrevoir par moment l’orchestre du Spectra Ensemble, sous la direction de Filip Rathé, qui interprète avec brio la partition contemporaine composée par Daan Janssens. Les trois comédiens solistes Ekaterina Levental (soprano), Cécile Granger (soprano), et Raimund Nolte (baryton) exécutent formidablement ce huis-clos, dont l’intensité est accentuée par des captations des interprètes projetées en direct sur le mur. Ces gros plans des comédiens viennent souligner la singularité de leurs émotions, et laissent le spectateur face à lui-même car comme le disait Levinas, le visage de l’autre fait appel à notre sollicitude.

C’est finalement un pari réussi pour Fabrice Murgia et Daan Janssens, car cet opéra contemporain parvient à nous plonger dans la complexité de ce trio et à nous faire vivre cette solitude quotidienne, au moins le temps d’une représentation.

Alice Mugnier

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