Critique de spectacle

Escurial de Michel de Ghelderode par la compagnie Passeurs de Mondes (vu à l’Athénéum à Dijon)

Plongés dans l’obscur palais d’un roi, nous rentrons dans l’intime cruauté de ses paroles et dans la promiscuité de sa vie. Le texte de Ghelderode constitue un petit drame court qui peut se prêter à toutes sortes d’interprétations et d’expérimentations. Il s’agit en effet d’un texte plastique dont les comédiens ont su saisir la vivacité sans cesse exacerbée par le suintement de la mort. Cette thématique de la mort est un des thèmes de l’oeuvre ghelderodienne, elle constitue une appréhension quasi-spectrale qui se matérialise dans l’univers de la pièce avec cette prostration essentielle des personnages, qui ne communiquent pas entre-eux, mais qui feignent de ne pas se comprendre par des paroles amères et gesticulantes.

C’est en cela que le burlesque déborde dans ce texte, mais un burlesque suranné, comme aucun auteur du XX ème siècle n’a su le saisir à part Ghelderode, qui se sert d’une forme de mysticisme religieux qu’il mêle à la folie démesurée de l’orgueil et de la souffrance, pour créer un peu comme les personnages de tragédie de Shakespeare, des sortes de monstres infamants et affamés de peur et de désir de maîtrise et de contrôle, mais qui consiste surtout en un gobergement qui cache leur velléité sous le masque d’une spiritualité infaillible. Derrière ce masque d’une cruauté haillonneuse, se cache pourtant une certaine fragilité, un désir céleste de connaître la jouissance et la paix intérieure, en s’échappant de la fumisterie du réel.

En cela, l’utilisation dans cette représentation des masques et de la manipulation à vue d’une marionnette pour figurer le personnage de Folial se révèle être un intense miellat, qui recouvre les personnages d’un voile qui les découvre et d’un masque qui n’a de cesse de révéler leurs instincts les plus vils. La multiplication des masques utilisés par le personnage du roi permet d’exprimer et de transcender l’hétérogénéité de sa cruelle ardeur à détruire et à tuer, elle permet d’insister dès le départ de la pièce sur le renversement des rôles entre le roi et le bouffon, et de se représenter la mort à l’oeuvre. La mise en scène convoque aussi quelques belles images de théâtre d’ombres, qui figurent à chaque fois une forme de naissance et de mort de la marionnettes que constitue le bouffon, cela devient ainsi une image touchante et très inventive digne d’un film de Bergman.

La mise en scène ainsi effleure et frôle le texte et se trouve en réalité très inventive et d’une efficacité performative qui crée une poésie bardée de symbole et d’images ternies qui révèlent le grotesque de la situation.Le sublime de la situation s’exprime dans le texte (mais aussi dans la mise en scène) avec retenue, par le silence coupable du bouffon et son apitoiement solennel. L’immobilité de la marionnette qui trône sur le siège du Roi exprime cela avec une morbide sensualité.

Quant au jeu des comédiens, dans l’utilisation de ses différentes techniques, il manque d’érotisme cruel et de barbarie vénielle. On ne peut pas se figurer le personnage du roi en proie au cri, presque dans une sorte d’animosité animale qui gesticule et qui se tord en huit et se plie en quatre, c’est de fait une représentation beaucoup trop grotesque du grotesque et qui finit par lasser. Quant à l’interprétation du bouffon, il manque d’harponnage, la figure marionnettique l’enferme dans une déprime inconditionnelle et l’étire beaucoup trop sans jamais lui donner le coup de grâce, l’interprétation du bouffon à travers le corps du comédien qui manipule cette sur-marionnette devrait davantage manifester le désespoir par une épreinte grimaçante et grinçante, et devrait ressembler à une sorte de Falstaff sublimé par l’amour et non par la couardise. Le personnage du religieux est quant à lui d’une très belle interprétation, et son rapport binaire à la scène dans l’enchaînement des rôles entre le moine et le musicien s’établit avec légèreté et distance, et avec un humour accentué par la pantomime éclatante de son regard hagard.

Pour son premier spectacle, la compagnie signe ici un spectacle d’une très belle facture et augure d’un travail théâtral poétique dans toutes les pratiques liminaires de la théâtralité. La mise en scène est le fruit d’un travail harmonieux avec le texte et en constitue une belle interprétation. Malgré les quelques imperfections dramaturgiques dans le jeu, ce spectacle reste une très belle rencontre avec une jeune troupe très prometteuse.

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