Akram Khan est un danseur-chorégraphe né au Royaume-Uni dans une famille originaire du Bangladesh. Après avoir commencé par le théâtre, c’est finalement la danse qu’il choisit et grâce à laquelle il mène aujourd’hui une brillante carrière, ayant notamment travaillé avec Peter Brook, Anne Teresa de Keersmaeker, Sidi Larbi Cherkaoui et d’autres grandes compagnies comme le Ballet National de Chine. Reconnu dans le monde entier pour son talent, son style mélange la danse contemporaine et la danse traditionnelle kathak. Plein d’énergie et d’ingéniosité, il revient cette année avec Chotto Desh, une pièce qui reprend son précédent solo Desh de 2013 et cette fois-ci adaptée au jeune public dans une version de 50 minutes.
© Richard HAUGHTON
Tout débute sur un problème de téléphone. En appelant les services techniques, l’homme présent sur scène tombe sur un enfant qui lui répond depuis le Bangladesh. Cette scène va servir de point d’ancrage à la narration car à partir d’elle, se développent toutes les autres, et elles y reviennent toujours. Commençant à raconter à l’enfant au bout du fil sa jeunesse, nous sommes petit à petit transportés dans les souvenirs qu’il évoque, passant de Londres au Bangladesh par des moments de danse extraordinaires. Parfois, il se souvient des moments où il se faisait disputer par son père… « Assieds-toi Akram ! », « Nous, au Bangladesh, on respectait nos pères ! ». Et le rire des enfants comme des adultes retentit lorsqu’une immense chaise entre sur scène au côté d’une minuscule avec laquelle va danser l’interprète. En outre, le propre corps du danseur sert d’ « accessoire », il en joue comme d’une marionnette pour figurer un autre personnage. Seul sur scène, il parvient à habiter l’espace de mille manières et c’est ce qui rend ce langage chorégraphique si riche.
Pour remédier à l’ennui que tous les enfants ressentent à un moment ou à un autre lorsque cessent les jeux, sa mère lui raconte des histoires du Bangladesh. Une émouvante fable écologique est alors relatée par une voix-off. Va descendre un écran transparent sur lequel est projeté une animation. Le danseur est derrière, et va jouer avec ces images qui représentent ce que raconte la fable : un crocodile, un éléphant, un serpent et bien d’autres merveilles défilent au milieu d’une forêt tropicale où chaque animal, chaque plante, chaque petite bête semblent animés d’un grand esprit. Le corps du danseur se mêle si bien aux dispositifs par ses mouvements souples et délicats que nous sommes tout entier pris dans un univers onirique qui nous gonfle le cœur et les yeux d’émotions.
D’une extrême rapidité mais en même temps d’une extrême finesse, Akram Khan raconte son enfance, ballottée entre deux cultures, avec toute une panoplie d’accessoires et de décors qui servent ingénieusement le propos. Son style allie à merveille le langage moderne et l’autre très ancien de la danse kathak, originaire d’Inde du nord. Le mot « kathak » provient du sanskrit « katha » ou « katthaka » qui peut désigner une histoire mais aussi celui qui la raconte. La danse est donc très narrative, le danseur tourbillonne sur scène et semble habiter l’espace entier. La vue de ces gestes bouillonnants, où le corps du danseur est tantôt sentiment tantôt objet de narration à la façon du mime, offre un tableau poétique des plus saisissant.
Ce qui est frappant est également la façon dont le chorégraphe a transmis un solo qui raconte sa propre enfance à des danseurs qui évidemment n’ont pas vécu la même chose que lui. Mais devant le spectacle, on ne peut s’empêcher de s’identifier au personnage et on comprend alors comme cette création s’adresse à tout public, y compris aux enfants, et qu’il est aisé d’y voir des échos avec des situations que nous avons tous plus ou moins vécues.
© Richard HAUGHTON
Chotto Desh, ce « petit pays » en bengali, nous transporte loin de notre culture, loin dans nos souvenirs ; il émerveille petits et grands par la singularité de sa mise en scène qui mélange tous les genres ; il fait rire, il fait pleurer ; et le danseur qui habite la scène durant une heure, jouant avec tous ces objets à la manière d’un enfant nous tire avec beauté de notre quotidienneté l’espace d’un instant, juste le temps de rêver.
Éléonore Kolar
Durée solo de 50 minutes Chorégraphie Akram Khan Danseurs D. Alamanos ou N.Ricchini Composition musicale J. Pook Création lumières G. Hoare Animation Y. Culture Création costumes K. Nakano