Critique de spectacle

Le préambule des étourdis dans une conception dramaturgique et scénique d’Estelle Savasta (vu au Théâtre Dijon Bourgogne dans le cadre du festival à Pas Contés à Dijon)

Anatole traîne une casserole derrière lui… La symbolique autour de cette casserole se construit tout au long de la pièce et fait émerger une véritable fabrication visuelle et émotionnelle. Le comédien qui interprète ce jeune garçon crée un véritable langage avec son corps, maniant avec éclat toutes sortes d’objets, dont cette casserole qui le suit et s’attache à lui bien qu’il veuille avec violence et de toute ses forces sans débarrasser en vain. Un véritable supplice de la casserole grandit ainsi sous nos yeux ébahis, sans que personne puisse y mettre véritablement un terme, avant de voir le triomphe final de l’amitié et de l’amour.

C’est un véritable mythe que la conceptrice du spectacle dévoile au spectateur, l’histoire d’une sorte d’enfant-titan, qui souffre d’être la risée de tous à travers un miroir translucide derrière lequel des ombres l’épient sans qu’il puisse ni leur parler, ni les toucher. Car Anatole ne parle pas, Anatole ne rit pas. Anatole recouvre d’argile des objets pittoresques comme des bois de cerf comme pour endosser l’impérieuse présence du cerf dans nos forêts, d’une admirable discrétion mais qui incarne toujours une douce quiétude. Lorsqu’il porte ses bois de cerfs, Anatole n’est plus tourmenté par cette infâme casserole. Pourtant cette casserole revient sans cesse comme par magie, il ne peut s’en détacher. Elle peut nous évoquer à nous spectateur et surtout au jeune public, la souffrance d’être rejeté et molesté par ses camarades, harcelé parce qu’on est tout simplement différent. Anatole est différent, il est même unique, pourtant il est seul et n’a pas d’amis avec qui partager ses jeux fantastiques.

Le décor est imprégné d’une très grande sensibilité et révèle un univers clos sur lui même, une sorte de laboratoire d’expériences ;car dans cet univers Anatole cherche à se construire et puisqu’il ne peut pas parler, il cherche à s’évader dans une sorte d’épiphanie démiurgique. Mais cette satanée casserole le cloue au sol et il ne peut s’en échapper que si quelqu’un accepte de porter ses casseroles avec lui. Le spectateur et notamment le jeune enfant est subjugué et comprend avec gravité la situation inextricable dans laquelle cet être qui essaye désespérément de se débarrasser de sa casserole se trouve. C’est bien l’histoire d’une libération mais aussi la naissance d’une formidable amitié que nous raconte ce spectacle. L’univers sonore qui accompagne le déroulement de la représentation voit l’émergence d’une petite fille qui nous raconte les mésaventures d’Anatole et qui peu à peu, se libérant des préjugés qui la sépare d’Anatole, se trouve être de plus en plus fascinée et admirative de cet être jusqu’à ce qu’elle le rejoigne avec autant de légèreté que si elle avait toujours été son amie.

Ce spetacle ainsi revêt une rare intensité et pose énormément de questions qui restent brûlantes dans la bouche des enfants ; qu’est ce que l’amitié ? Que faire si l’on se moque de moi ? Pourquoi suis-je différent ? Il y a un véritable rapport à l’identité de l’enfant et sur ce qu’il peut créer qui est constamment mis en lumière dans ce spectacle. Cette interrogation essentielle est à la portée des jeunes enfants tant l’univers d’Anatole leur paraît à la fois familier mais aussi d’une étrangeté innommable. Anatole peut aussi par moments faire le clown et provoquer des rires étouffés mais chaque enfant est en mesure de percevoir que cette casserole qu’il traîne avec difficulté et qui adhère à sa peau est un objet encombrant et peu malléable qui représente ses difficultés à s’intégrer avec les autres enfants.

Cette représentation est ainsi taillée dans le vif des interrogations « métaboliques » des jeunes enfants et lui permet d’entrer dans un monde imaginaire à l’aspect étrange et merveilleux. On a presque envie de se lever de son siège pour aller aider Anatole à se débarrasser de sa casserole. Son combat, c’est le combat de tous les enfants, ses problèmes sont les difficultés que chacun rencontre tout au long de sa vie face à l’altérité. La compagnie Hippolyte a mal au cœur signe là une fresque magique dont la méchante n’est autre que nous même et invite les enfants à prendre en considération l’inaltérable malaise que peut créer l’exclusion et le harcèlement.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s