Cette mise en scène de la célèbre pièce de Molière est l’occasion pour les comédiens de montrer leurs filiations aux grands traits du comique et d’éprouver leur corps à travers une parole dénonciatrice, plus encore à travers une parole « pourfendeuse », en ce qu’elle doit continuellement attiser le rire du public. C’est bien en riant que le spectateur pourrait comprendre les enjeux d’une pièce. Le metteur en scène nous montre dans son travail, que le rire n’est pas le seul artefact que l’on puisse utiliser pour faire parler un texte puissant, une comédie certes mais qui contient en germe l’essence d’un drame familial, celle d’un père fourvoyé par un homme qui ne cherche qu’à le tromper et à se servir de sa crédulité pour s’emparer de sa « vie ».
En effet, Benoît Lambert semble jouer sur les tensions « tragiques »( à demi-mot) de cette pièce, en essayant de montrer derrière le masque comique, le drame personnel de chacun. Chacun se retrouve face à ses propres aspirations et essaye de défendre ses ambitions. Cette mise en scène assez sobre, rend la simplicité des personnages et ne les fardent pas dans leur totalité de traits comiques simiesques. Les comédiens sont tous engagés à respecter une certaine mesure, même si une touche originale rappelle et évoque un comique beaucoup plus assumé à travers le travestissement d’un comédien pour jouer une veille mégère par exemple.
Les comédiens sont donc a priori dans une perspective ouverte : interpréter sans trop exagérer.
Dans des costumes à la frange de notre époque moderne, au sein d’un décor assez sombre en panneaux de toile qui évoque un salon et aux entrées diverses qui permet les différentes entrées, les comédiens créent l’espace théâtral à mesure que la lumière se fait sur l’imposteur, c’est à dire celui qui tâche de tromper en se parant des dehors de la vertu. Des intermèdes de musique aux accents jazzy entre les différents actes portent une nouvelle émotion au spectateur, celle d’une atmosphère inquiétante.
Les jeunes comédiens sont assez prometteurs, particulièrement Aurélie Reinhorn qui fait montre d’une grande sensibilité, qui renouvelle son personnage que l’on a trop tendance à représenter pleurnicheuse. De même que Emmanuel Vérité interprète un Tartuffe à la verve rocambolesque et pleine d’une indolence insolente tant dans ces gestes, que dans sa lubricité indue. Martine Schambacher dans son interprétation de Damis nous donne à voir une des caractéristiques des servantes chez Molière : leur bon sens. Un bon sens que la comédienne corrobore par son insolence par sa perspicacité naturelle, par son talent en somme.
Cette mise en scène aux moyens techniques assez simples, et au jeu qui laisse place à la franchise, crée de véritable moments de délice, et on imagine aisément qu’avec encore plus de pratique et de représentations, les deux premiers actes notamment seront plus performant et prépareront avec encore plus d’emphase l’arrivée de Tartuffe. Le début manque en effet d’amplitude et est un peu trop terne, ce n’est véritablement que dans la frénésie et la colère des personnages dans les deux derniers actes, que les comédiens trouvent à exprimer leur voix singulière, c’est lorsque tout se désagrège que le mouvement de la pièce fait rire aux éclats le spectateur.
Benoît Lambert signe ici une belle mise en scène, appuyée par des comédiens de talent, qui confèrent une voix moderne à ce texte, malgré ses vers héroïques, figure de proue du classicisme, dont Tartuffe augure déjà des transgressions futures, héritage d’une pièce donc que le metteur en scène a parfaitement su se réapproprier sans tomber dans la compromission d’un comique grotesque et d’une plate dénonciation interminable de l’hypocrisie. En créant une symbiose entre la comédie et le drame, cette transposition en un sens nous permet de mieux cerner les enjeux de la pièce, de mieux cerner Tartuffe, non pas seulement faux-dévot, mais bien plus manipulateur captieux.