Regards casqués sur des scènes mouvantes. Retour sur « Out. Purgatoire urbain » qui se joue à 10h45 au Train bleu jusqu’au 27 juillet 2022 (relâche le 21) et « Hernani on air » qui se joue à 19h40 à la Scierie jusqu’au 25 juillet 2022.
Dans le festival Off d’Avignon, de nombreux spectacles proposent à leur public d’enfiler un casque audio pour s’immerger dans une ambiance sonore et une histoire racontée au creux de l’oreille. Le casque change notre rapport aux comédien·ne·s et au texte. Il instaure une certaine distance à la représentation, tout en donnant la possibilité d’explorer notre sensibilité sonore.
Traverser les « cinq vacarmes du monde »
Au Théâtre du train bleu, le Collectif Grand Dehors nous entraîne dans une déambulation exaltée dans les rues d’Avignon, avec dans les oreilles l’histoire de Plume (Anaïs Gallard), une jeune fille ayant glissé vers la marge depuis la disparition de sa mère. Elle va alors défier la Mort et les épreuves de la vie pour parvenir au bout de sa quête et la retrouver. Alors qu’elle se faufile dans les coins et recoins de la ville, Plume est aidée par deux animateurices de radio, Monsieur Frayeur (Marc-Alexandre Gourreau) et Mme Freya (Clémentine Lamothe). Cette dernière, ensorceleuse dotée de pouvoirs de voyance extraordinaires, va accompagner Plume dans sa traversée des cinq vacarmes du monde.

Ce spectacle est une véritable pépite sonore et théâtrale. Le parcours de Plume qui se joue sous nos yeux est à la frontière entre danse, performance et théâtre physique. Anaïs Gallard parvient à tisser un véritable lien avec le public, à la fois émotionnel, affectif et sensible. Bien que nous ne soyons que des témoins impuissants et invisibles du drame qui se joue pour elle, nous sommes, avec Mme Freya et la guide touristique frayeuse interprétée par Maryne Lanaro, propulsés dans un même rythme et une même énergie. En plus de l’histoire et des voix, dans nos oreilles, Marc-Alexandre Gourreau, portant sur lui une régie mobile, tel un homme-orchestre des temps présents, diffuse une création sonore mêlant sa voix à des morceaux sonores extraits de la culture commune : des films de Walt Disney, en passant par des morceaux des Beatles, ou encore des extraits de film comme Requiem for a Dream ou The Doors. Pour Maryne Lanaro, il s’agit également de réinvestir les imaginaires sonores qui nous entourent et, avec eux, de tisser de nouveaux récits communs.
C’est très cinématographique comme performance. L’idée est de pouvoir diriger le regard spectateur, comme une caméra, et de l’inciter, alors qu’il était en zoom sur la comédienne, d’un coup à éclairer l’espace urbain et avoir une énorme perspective, avec un champ très long, avec la comédienne qui est loin. On joue sur ces champs contre-champs, ces perspectives.
🎧 L’entretien complet de Juliette avec Maryne Lanaro est à retrouver sur L’écho des planches, via le mixcloud de Radio Radio Toulouse
Le casque offre alors la possibilité d’un autre monde, en dehors de la salle de spectacle, et en dehors d’une stricte linéarité et spatialité. Tout en nous permettant de visiter l’espace urbain, il ne nous rend pas pour autant maîtres de cette espace, mais passagers et passagères d’un voyage éphémère. Notre regard est orienté et jamais contraint par les sons diffusés dans nos oreilles. Alors que Plume est devenue une habitante de la ville qui, en même temps, la rejette, nous ne sommes que des passant·e·s, des touristes comme le rappelle la pancarte portée par la guide tout au long du spectacle, invité·e·s à regarder, écouter et partager un fragment de la vie d’une jeune femme pas comme les autres.
Dona Sol au micro
À la Scierie, Audrey Bonnefoy met en scène une adaptation d’Hernani de Victor Hugo en émission de radio. Dona Sol (Mona el Yafi) se retrouve ainsi être l’invitée principale d’Émilie Adlar (Émilie Blon-Metzinger, en alternance avec Audrey Bonnefoy), dans son émission quotidienne, « Chuchote-moi à l’oreille ». L’émission porte sur le point de vue de Dona Sol dans cette tragédie, sur les enjeux féminins et féministes d’un personnage dont le destin réside dans les mains des hommes et prétendants qui l’entourent : Don Ruy Gomes, son oncle (Marc Ségala), Hernani, son amant (Alexandre Risso) et enfin Don Carlos, roi d’Espagne et futur empereur (Ayouba Ali).

Dans le public, nous assistons muni·e·s de casques audio à cette émission en plusieurs épisodes consacrée au patriarcat et aux échos entre la mise en question du pouvoir des femmes d’hier et d’aujourd’hui. Alors que la présentatrice s’exprime dans un langage radiophonique actuel, les personnages de papier incarnés et invités le temps de cette émission entre deux mondes, continuent de lui répondre en alexandrins, selon un modèle classique.
Si le dispositif de départ est prometteur, la radio permettant de mettre au jour les enjeux et la dramaturgie du texte, il n’est pas complètement tenu jusqu’au bout. Les personnages jouent souvent loin des micros, nous donnant davantage à voir la pièce de Victor Hugo qu’une émission de radio sur cette même pièce. Les comédiens et comédiennes font néanmoins vivre les vers ainsi que les espaces changeants du drame. C’est donc une belle proposition de théâtre, il est seulement dommage que l’adaptation au dispositif radiophonique, présentée comme le cœur de la mise en scène, ne soit pas pleinement explorée.
Juliette Meulle