Critique de spectacle, Festival d'Avignon OFF

« Quand toute la ville est sur le trottoir d’en face » – Cie 1057 Roses

Un spectacle de la Compagnie 1057 Roses, texte de Jean Cagnard, mise en scène de Catherine Vasseur, interprétation Julien Defaye et Vincent Leenhardt. A Artéphile, Avignon, jusqu’au 26 juillet.

Le texte est publié aux éditions espaces 34

Crédit photos : Axelle Carruzzo

Quand toute la ville est sur le trottoir d’en face n’est pas un spectacle sur la toxicomanie, il nous parle plutôt depuis la toxicomanie, et plus précisément depuis le moment de la désintoxication. Le décor, épuré, est celui de la clinique : un mur blanc coulissant qui module l’espace, une table, deux chaises. Deux personnages y cohabitent : le toxicomane et son soignant.

Exploratoire et incisive : une langue pour épouser la douleur

Le texte, la mise en scène et la performance des acteurs dépassent le simple « regard sûr » pour nous proposer une immersion littéraire dans un autre monde, un autre espace du langage, celui de la toxicomanie. Ici le personnage s’exprime au nom des siens – « nous les toxicomanes » – dans une langue précise, saillante, qui percute et s’imprime dans nos esprits.  

L’écriture ne cherche pas à imiter, à singer un parler malade, mais plutôt à explorer la langue créée, générée, par la maladie, pour nous faire ressentir toute la complexité de cette douleur.

Car ici la douleur génère une inventivité littéraire non pas par choix, par désir de sublimer la souffrance, mais bien plutôt comme une obligation, une nécessité de créer des images nouvelles, une poétique pour dire, un peu, l’ampleur du ressenti. Car c’est une douleur autant physique que psychologique qui se déploie ici et l’écriture semble chercher constamment à se situer dans une poétique de la faille, dans une exploration, une quête de ce que pourrait être un juste endroit de la langue.

« Nous sommes des métaphores, pas des créatures »

Ces mots ne sont pas sans corps et celui de l’acteur (Julien Defaye) prend lui aussi en charge cette complexité et cette épaisseur du vécu : il se recroqueville, se tend, abandonne ou lutte. En permanente urgence, il laisse peu de place au répit – même discret : on sent que le repos est ici encore impossible. Sous nos yeux se déploie donc la violence de ce que l’addiction fait au corps, et la tentative sans cesse renouvelée de trouver une langue pour accompagner cette violence.

Par la lutte contre l’addiction, le toxicomane affronte avec une brutalité aiguë certains des questionnements humains les plus violents. Il est question de ce qui fait tenir et rend encore possible l’envie de guérir. En découle dans le texte ce que l’on pourrait qualifier de « poétique de l’endroit » : l’endroit où l’on se tient, où l’on cherche à être, l’endroit que l’on fuit. Le quotidien est rythmé par cette temporalité, incarnée aussi par les médicaments : combien en prendre aujourd’hui ? la semaine prochaine ? plus ou moins qu’hier ? comment tenir jusqu’au lendemain, penser au futur et au départ quand le corps ramène en permanence à une actualité douloureuse ?

Subtilité de la relation soignant/soigné

La relation entre le soignant et le soigné est également explorée avec beaucoup de subtilité. Dans la clinique, à la fois lieu de vie et de soin, on aperçoit l’administratif qui régit le quotidien tout autant que les échanges humains qui échappent, inévitablement et heureusement, au cadre hiérarchique.  Sans recours à un réel fil narratif, la relation qui se tisse sous nos yeux entre les deux hommes esquisse déjà toute sa complexité et subtilité. Les enjeux de pouvoir et de domination entre les deux personnages ne sont pas ignorés mais ne sont jamais dépeints avec manichéisme. Le toxicomane, par exemple, comprend et sait aussi très bien jouer des normes et règles protocolaires qu’on lui impose.

Un spectacle à ne pas manquer, jusqu’au 26 juillet à Avignon.

Marie Blanc.

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