Dans la Cour d’honneur jusqu’au 23 Juillet
Le travail chorégraphique engagé par les corps subsiste par delà l’individu, le geste est collectif tandis que l’on retrouve à plusieurs moments des sortes de duos ou de solos qui se dégageraient du collectif pour expérimenter des formes singulières. Ces moments où peu de danseurs pèsent sur la scène forment des sortes d’interludes pénétrants et leurs gestes sont aussi lestes que drôles. Le travail chorégraphique n’est pas simplement là comme un décorum du corps et comme une vaine recherche de l’effet, il se mêle à une auto-dérision constante présente dans les moments parlés et à une recherche aiguë de la persistance du geste dans des sortes de saynètes comiques. L’ensemble s’arroge un certain entrain puisque il y a beaucoup de moments chantés, d’un chant entraînant et puissant. Le spectacle est le spectacle du vivre-ensemble et de l’amour de l’autre, de sa rencontre heureuse.
On retrouve quelques personnages face à une histoire qui tente de se tisser. On retrouve en premier lieu un personnage qui se déhanche et qui parsème la scène de sa présence frileuse et angoissante, tout en devenant peu à peu une sorte de pantin articulé aux réactions pour le moins surprenantes. Une sorte d’orateur se distingue du groupe et participe au montage de textes, il joue avec une certaine bonhomie sur l’évocation des différences entre les langues parlées. Enfin, on retrouve une sorte de femme, en vérité un homme travesti en « bonne » et qui évolue sur scène avec cocasserie. Chaque danseur, de part le costume qu’il porte et de part sa position sur la scène acquiesce un moment donné un rôle, l’endosse puis le porte à son paroxysme.
On retrouve également sur scène des musiciens. Les percussionnistes (percussions composées d’une sorte de taiko et de percussions métalliques étaient présents de part et d’autre du terre-plein central. Les autres musiciens étaient présents en amont de la scène. Leurs musiques pénétraient les corps, elle résonnait dans les orbites de chacun des danseurs. La création sonore vibrait au rythme des danseurs, notamment dans les mouvements de groupes, dans les danses collectives. La scénographie enfin n’exhalait aucune prétention, elle permettait un agencement de l’espace propice à l’étalement des corps, à la création et à la superposition d’ondes de corps, tantôt empêchées, tantôt engagées ; les sortes de cadres roulants qui s’emboîtaient et se détachaient perpétraient une vague sensation d’impossibilité, d’enfermement cathartique.
© Christophe Raynaud de Lage
La fable pulsionnelle raconte en quelque sorte l’impossibilité des langues de se comprendre ou de cohabiter, mais cela ne divise pas les hommes tel que le prévoit la Bible… Le spectateur entend parler nombre de langues et aucune traduction n’est apportée, cela tient aussi à la composition des danseurs issus des quatre coins du globe. S’ils ne se comprennent pas, les corps pourtant communiquent des émotions, précipitent une sorte de combat contre la servilité des langues et les bras ballants s’arment de mouvements propitiatoires. Un des éléments marquants du spectacle chorégraphique se situe dans certains mouvements, visiblement inspirés des arts martiaux. Cela précipite sur scène une confrontation d’ordre cosmique, qui dépasse le visible, et qui justement rend visible l’invisible des corps, l’émotion psalmodiée dans la douleur de l’abandon qui converge dans l’ouverture vers l’autre, dans l’échange, dans la danse d’inconstances et de fragilités qui s’ébattent sur scène, quelque chose proche d’une naissance, indicible mais en même temps pleine d’espérance.
Babel 7.16, ce n’est pas le récit d’une séparation, mais au contraire le geste d’hommes et de femmes réveillés par leurs instincts et qui trouvent dans la danse un rempart à leurs peurs et à leurs velléités. L’ensemble forme un spectacle saisissant, grandiloquent et plein d’une délicatesse impétueuse…