Critique de spectacle, Festival d'Avignon OFF

Épître aux Jeunes Acteurs pour que soit rendue la parole à la parole d’Olivier Py (Qu’advient-il de la parole) dans une mise en scène de Thomas Pouget par la compagnie de la Joie Errante

Au Centre Européen de Poésie d’Avignon à 22h30 avec Délia Sepulcre Nativi (comédienne) et Thomas Pouget (metteur en scène, comédien).

Thomas Pouget nous livre avec sa comédienne une version personnelle de l’oeuvre d’Olivier Py. Cette œuvre conçue comme une sorte d’oratorio s’adonne à une réflexion sur la parole de l’acteur et sur ses résonances et ses résurgences dans notre monde contemporain. L’auteur nous offre une sorte d’essai pamphlétaire dans cette œuvre, dimension que Thomas Pouget a bien su faire ressentir dans son travail dramaturgique autour de la pièce.

Cet épître, inspiré dans son ordonnance par les épîtres bibliques (et notamment ceux de St Paul), sont adressés aux acteurs. L’auteur tente d’insuffler du sens au travail et à la profusion de l’acteur. La particularité de cette forme d’adresse est qu’elle serait au préalable conçue comme une sorte de soliloque adressé où pas à pas se résolvent et se bousculent les différentes contradictions liées à l’exercice de la parole. Au milieu de la parole ancienne précipitée par la tragédienne dans son « costume démodé », on retrouve différentes interventions incarnées par la comédienne qui sont toutes des empêchements à cette essence de la tragédie et qui viennent moquer avec un ton satirique les différentes implications de la société de consommation et de communication jusque dans les fondements de la création théâtrale. Les différents personnages qu’elle endosse forment toutes des caricatures des métiers liées à la culture et à la communication. On retrouve dans l’interprétation de la comédienne une incarnation de ses différents personnages avec une candeur assassine et en même temps une grande franchise qui confine parfois au comique et au ridicule.

Thomas Pouget prend en charge le rôle de la tragédienne, image d’un poète travesti, impotent et fragile mais dont les forces augmentent à mesure que le drame émerge, que la parole se fait plus pesante et nécessaire, et que les mots eux-mêmes sont comme des coups assénés à ceux qui voudraient détruire la parole en détruisant les lieux de la pensée. Il y a dans l’interprétation du comédien quelque chose d’une urgence appesantie, une précarité heureuse prolongée dans la quiétude des instants où le comédien enfile son costume et où il le retire comme pour quitter cette peau usée et bercer dans une nouvelle parole, mais une parole portée par un prophète impuissant, qui n’est capable d’annoncer rien d’autre que les germes d’une parole poétique sans limites, et qui attend dans la révélation qu’il en donne, que les gens s’en saisissent et le poussent jusqu’à l’irrationalité, mère de l’ivresse théâtrale.

Thomas Pouget nous livre une belle interprétation du texte oscillant entre le ton ravageur de la colère, l’espérance grandiose de l’avenir et la noirceur palpable de l’innommable des circonstances.

Au demeurant la mise en scène prolonge chaque détour du texte en imaginant des espaces qui se réalisent au fur et à mesure de l’avancée de la parole, une parole qui s’incarne bien dans le théâtre, mais un théâtre ouvert, porté par essence à la démesure et qui efface toutes les limites entre le public et les spectateurs, qui joue avec les entrées et les sorties comme pour montrer et dépasser l’illusion de la fabrication théâtrale en la représentant toute entière sur scène. Les jeux de lumières notamment les modulations entre des teintes bleutées et les simples rayons de projecteurs créent un espace de d’enracinement, un espace de la nuit ou s’ancre cette parole doué d’un pouvoir créateur et évocateur. C’est toute la nuit du monde que ce texte balaye, nous donnant à voir et à entendre une colère naissante, nous appelant à la révolte, révolte que l’on retrouve par ailleurs cette année dans la ruade du cheval.

Il faut aller voir cette mise en scène et entendre à nouveau ce texte pris ici en charge de manière admirable par une dramaturgique cosmique et consciente des enjeux du texte et de la parole. Les mots sont aussi bien des couteaux que des caresses, et ses écarts forment la matrice de l’oeuvre d’Olivier Py… Comment passe-t-on d’une parole violente et désaffectée par l’éros à une parole pétrie dans l’agapé et l’universelle conscience de ce que les mots prennent sens dans le collectif ?

Et que ce collectif contient tous les acteurs, comme les seuls chantres possibles de la modernité, non pas celle qui dit qu’elle est résolument moderne, mais celle qui affirme que par delà toute forme de poésie et d’art qu’elle continue de porter la parole, de rasséréner les souffrances primitives et présentes pour fonder un nouvel ordre universel qu’Olivier Py nomme catholicité. Il reste que l’univers dans lequel la tragédienne se complaît et qui fait du spectateur un comparse aveugle reste un univers assez drôle, qui se joue du scandale et qui parle vrai, quitte à se moquer d’elle-même…

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