Au Théâtre de la Porte St-Michel, à 19h30
L’homme, puisqu’il faut l’appeler ainsi, dévoile une correspondance privée que son père aurait entretenu avec un ami resté à Paris alors que lui-même tentait de s’établir en Palestine. Les lettres écrites deux ans avant la fondation d’Israël interrogent les différents principes du sionisme et de la judaïté. Ainsi que l’annonce Pierre Blumberg, le spectateur va assister à une tranche de vie ; la lettre beaucoup plus que toute autre matière permet d’approcher le vif, elle n’est pas seulement une histoire intime, elle raconte bien plus qu »elle rend compte. La pertinence ou plutôt la beauté des lettres est incontestable, le comédien Pierre Blumberg sur scène les lit, les transmet, gardant cette matière précieuse entre ses mains.
Habitué de ses formes de lectures que le comédien appelle lui-même des « dictures », les lettres s’amoncellent dans notre esprit et laissent peu à peu place à notre imaginaire, bientôt à notre conscience politique. La présence du comédien, son investissement dans le texte marquent de fait une des grandes qualités de ce spectacle. La tranquillité et l’apaisement de sa voix repose sur des assises puissantes, la matière textuelle. Georges Blumberg, juif français et journaliste décide donc en 1946 de partir en Palestine en vue de s’y établir. Les lettres qu’il envoie à son ami d’enfance resté à Paris forment donc des longues narrations où l’épistolier fait part de ses impressions sur la Palestine qu’il découvre.
Le texte trouve évidemment une résonance politique très subtile, puisqu’il rend compte de ses réserves quant à la possibilité de la création d’un état juif (Israël sera crée en 1948). Il y décrit l’affairisme des notables juifs ainsi que leur auto-suffisance. Certains des passages critiquent ouvertement les doctrines sionistes, les logiques économiques qui empêchent le bien-être des gens. On retrouve dans ses différentes lettres bien plus que le point de vue d’un journaliste, le récit d’un homme lucide dans un monde d’hommes aveugles.
Enfin, on ne peut que recommander une telle forme qui est loin d’être un seul en scène ou une simple lecture. Le partage est vrai, sincère, authentique et la puissance littéraire des lettres tant dans les descriptions du pays et de la vie quotidienne que dans les observations géopolitiques et religieuses devrait permettre à n’importe quel spectateur, aussi peu lettré qu’il puisse être, de consacrer ce spectacle comme un premier élément de réflexion par rapport à l’état d’Israël.
On retrouve dans ce spectacle la grandeur d’un homme qui pressentant les terribles jours d’Israël décide ainsi que Pierre Blumberg l’annonce à la fin de la représentation, de quitter la Palestine pour retourner à Paris. Il faut absolument entendre ce spectacle car il est assez rare de trouver des témoignages de ce type, de juifs qui dans l’après-guerre estimaient la création d’un état-nation juif aussi vain que stérile, d’avance immolant puisque déjà immolé…