Édité aux éditions espaces 34 en avril 2023.
David Léon propose une traversée de la pensée lacanienne, modalité de réflexion complétée par d’autres philosophes contemporains qui essaiment l’écriture. Comme toujours dans son écriture, la composition précède le geste d’écriture et après plusieurs lectures pour débrouiller le sens du texte, on peut l’explorer avec toutes ses clartés encloses et le relire encore et encore.
Tout est enclos dans les différentes voix qui composent l’œuvre et que la poésie, et ici fait nouveau l’humour, viennent peu à peu libérer. L’écriture de David Léon libère peu à peu du sens et dégage du réel et même de la langue tout ce qui peut encombrer et donner un sens trop convenu.
L’équilibre de l’oeuvre dont le propos vise à interroger le dérèglement humain condense son intensité dans l’impossibilité d’établir une communication entre différentes voix qui constatent, s’alarment et défendent la nature menacée. Cette impossibilité de la communication fait naître d’autres voix, notamment animales dont la beauté lyrique transperce le lecteur et le transporte dans une nature exaltée et mélancolique, comme si les voix animales et la volonté de rassembler les animaux menacés dans une sorte d’arche virtuelle pouvait sauver quelque chose…
Mais partout un désespoir enchanté et moqueur ne permet même pas d’envisager cette sauvegarde comme une possibilité utopique. Des voix précipitées, dans l’urgence de dire, d’énoncer se confrontent au réel et aux humains dont les paroles rapportées révèlent l’inanité, les écueils et l’absurdité des constats amiables avec notre conscience. Pour autant, l’œuvre de David Léon n’est pas radicale, elle propose encore une fois une autre voix, mélange d’intériorité, de symbolisme et de théâtralité soliloque qui doit venir bousculer ou secouer notre imaginaire, y compris dans la vision intime et politique que l’on peut se forger individuellement en temps réel de la destruction de notre planète.
En effet, le propos ne cherche pas à construire ou à déconstruire une réflexion sur notre rapport à la nature,la pièce fait émerger en surimpression la menace qui pèse sur tout le monde et en premier lieu les animaux et les plantes incapables de parler mais aussi incapables de détruire. L’écriture est tumulte, liste, discours atrophié par l’émotion et l’ambition démesurée de tout sauver. Le ton, s’il est empreint d’une ironie discursive est une féroce accumulation de noms d’animaux et de plantes, d’engagement voué à l’échec et de sonorités complexes et exaltées qui viennent sans cesse désaccorder toute lecture possible. L’harmonie de la nature est présentée en ce qu’on ne peut plus que la sauver virtuellement et le propos catastrophiste est tourné en dérision pour mieux souligner son catastrophisme.
Le Terrien est un spam est donc une sorte d’œuvre pamphlétaire mais dont l’objet serait toute l’humanité qui apparaitrait par bribes sans jamais pouvoir rien énoncer de réel, une humanité sans pensées, sans pouvoir, épuisée, inutile, presque à bout de souffle, incapable d’interagir avec ses semblables.
Dans cette apparente aporie apparaissent néanmoins quelques réflexions philosophiques qui permettent de déployer l’œuvre vers une autre voix, celle du théatre qui rend présent et met l’imaginaire au pas pour créer un monde le temps de la lecture ou de la représentation qui ne reflète pas seulement notre impuissance et notre échec mais qui fait émerger notre incommensurable connerie.
C’est sans doute pour cela que la pièce est à la fois drôle et mélancolique et que son lyrisme est comme empêché par un langage trop virtuel ou prosaïque : c’est parce que tout a déjà été dit mais pas avec autant de liberté car la pièce veut s’inscrire en dehors de tout cadre formel et crée à partir du langage et des mots sans jamais édifier ou ériger la moindre fable.

C’est derrière ce masque humain évoqué par la voix du rat que se révèle l’humanité qui anticipe sa propre destruction par l’écrasement d’autres espèces : c’est ce spectre qui habite toute la pièce sans jamais se résoudre car l’homme et sa société capitaliste ne feront jamais tomber ce masque humain. Masque humain qui est d’autant plus exacerbé dans cette pièce puisque l’auteur s’amuse à parodier cette langue de la communication et du data… Notre langue qui dérive avec notre planète, c’est aussi cela ce que raconte cette pièce.
Raf.
