77e Festival d'Avignon, Critique de spectacle, Festival d'Avignon IN

Un centre d’aide sociale dans la Cour

Welfare de Julie Deliquet se jouait du 5 au 14 juillet dans la Cour d’honneur du Palais des Papes.

États-Unis, début des années 1970, gymnase aménagé en centre d’aide sociale. Mme Turner, M. Rivera, M. Hirsch, Mme Gaskin et d’autres sont venu·e·s ici avec des dossiers remplis de documents administratifs. Ces quinze personnes, devenues en partie personnages, ont été choisies parmi les nombreux portraits que comptent le film documentaire de Frederick Wiseman réalisé en 1973. Avec Welfare, Julie Deliquet, deuxième femme seulement après Ariane Mnouchkine à se voir attribuer la Cour d’honneur comme lieu de création au Festival d’Avignon, entreprend de peindre une émouvante fresque réaliste et documentaire.

© Christophe Raynaud de Lage

Servie par des comédiennes et des comédiens qui n’ont aucun mal à habiter l’immense plateau de la cour d’honneur et à nous faire pleinement ressentir la détresse des différentes personnes qui y défilent, la pièce promet d’abord un spectacle sans spectaculaire, une vision de la misère sans misérabilisme. En effet, au fil des discussions, on comprend aussi que les personnes ici savent se battre, se défendre et sont seulement épuisées d’attendre, encore et toujours.

[Dans le film de Frederick Wiseman], le lieu devient un cadre à la fois géographique, collectif et éminemment théâtral, où il est possible d’observer et de comprendre comment l’ordre s’établit, comment chacun ou non y résiste, comment se formalise la violence, comment s’opère la transmission et comment se met en scène et se joue la vie démocratique.

Entretien de Francis Cossu avec Julie Deliquet, 2022

Les déambulations finales des différents personnages permettent aussi d’envisager un changement possible des rôles et des places : rien ne semble jamais fixé dans ce monde ou celleux qui demandent et celleux qui reçoivent sont intimement lié·e·s par des relations de pouvoir souvent dysfonctionnelles. Les agents eux-mêmes pourraient bientôt être à la place des personnes qu’il·elle·s accueillent. Toustes sont pareillement écrasé·e·s par ce gigantesque mur vertical qui fait figure d’un cheminement administratif sans fin et sans visage.

Pour autant, malgré la justesse du ton, des moments musicaux qui rythment la pièce, ainsi qu’une scénographie qui investit et habille avec panache l’espace horizontal de la cour, ce spectacle laisse comme un goût de regret en bouche. Un regret né d’une impression de cumulation des situations sans réelle structure, d’une absence de véritable dramaturgie, d’une simplicité assumée qui tourne progressivement à la platitude. Oui nous sommes ému·e·s, touché·e·s, et après ?

© Christophe Raynaud de Lage

Si l’on peut louer la volonté de Julie Deliquet de ne pas faire du grand spectacle à partir de situations quotidiennes et réelles, on peut tout de même se demander ce que vient dès lors apporter le théâtre par rapport au documentaire de Frederick Wiseman. Partis du grand écran pour entrer dans l’univers dramatique, les personnages, derrière leur misère apparente, ont quelque chose de trop parfait, de trop travaillé. À travers elleux, on entre dans une forme de fiction, de montage, sans pour autant renoncer à un réalisme assez cru. Aucune des deux formes ne prend le pas sur l’autre et plutôt que d’entretenir une indécidabilité créative, ce flou empêche le spectacle de décoller complètement de son cadre initial.

Si de très beaux moments sont à noter, Welfare donne davantage envie de voir le film dont il s’inspire que d’être suivi dans ses dates de tournée.

Juliette Meulle

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